Nous avons habité aux Escoumins durant quelques années.
Dans cette région, les périodes creuses ornithologiquement sont plutôt rares;
en fait, c’est le début du mois d’avril que je trouvais le plus pénible,
probablement parce que les oiseaux que je savais être arrivés dans ma région
natale tardaient à se présenter aux Escoumins! La deuxième moitié du mois de
juillet est très occupée localement, entre autres à cause de l’arrivée massive
des Mouettes de Bonaparte. Ces petits laridés, qui nichent dans la forêt
boréale, font leur apparition dès la mi-juillet pour ensuite atteindre un
sommet d’abondance en septembre. En plus, un nombre variable d’individus,
surtout des oiseaux âgés d’un an qui sont trop jeunes pour nicher, passent
régulièrement l’été sur la Haute-Côte-Nord. Avec les autres laridés qui nichent
dans le secteur, les Mouettes de Bonaparte se rassemblent dans la baie des
Escoumins où ils profitent tous ensemble de l’eau douce provenant de la rivière
pour enlever le sel marin de leur plumage. Tous ces oiseaux forment une belle
masse grouillante qui ne peut faire autrement que d’attirer les autres mouettes
de passage dans le secteur.
Durant les sept années que nous avons passées sur la
Haute-Côte-Nord, nous avons réussi à voir pas moins de 16 espèces de goélands
et mouettes dans la toute petite baie des Escoumins. À l’époque, et c’est
probablement encore vrai aujourd’hui, certaines espèces considérées
« rares » au Québec y étaient même régulières… À moins que ce ne soit
parce que nous étions nous-mêmes réguliers au site?!? À chaque jour sans
exception, nous nous rendions derrière la célèbre poissonnerie, à la pointe de
la croix ou encore au quai afin d’inspecter les mouettes et goélands; en fait,
nous avons dû inspecter un à un des centaines de milliers de laridés durant ces
quelques années!
Parmi les « Occupations autres » prévues durant
nos quelques jours de vacances, une visite au Saguenay était au programme. Même
si la Haute-Côte-Nord n’était pas sur notre chemin, nous avons opté pour un
petit détour par Les Escoumins, question de voir si « nos » mouettes
étaient toujours aussi coopératives. Tôt vendredi dernier, par une température
très agréable, nous avons donc pris la route de Trois-Pistoles d’où le
traversier allait nous conduire aux Escoumins. Étant avant tout des birders,
nous avons bien sûr planifié notre petit voyage de façon à ce que ce soit le
plus profitable possible pour les oiseaux. Il ne restait qu’à espérer que ces
derniers collaborent…
Vendredi le 27 juillet, le traversier quittait
le quai de Trois-Pistoles à 7 h 15 alors que la marée atteingnait sa
hauteur maximale. La visibilité était plutôt bonne et un vent faible soufflait
du nord. Nous avons déjà fait plusieurs traversées entre Les Escoumins et
Trois-Pistoles à la fin de juillet et certaines s’étaient avérées très
fructueuses. Au fil des années, nous avions même pris l’habitude de noter les
conditions rencontrées durant les traversées, en espérant trouver les raisons
qui font que certaines sont si riches en oiseaux alors que d’autres sont d’une
pauvreté absolue. La direction et la force des vents, la marée au départ et à
l’arrivée, la quantité de lignes de débris marins au large (ce sont souvent
elles qui décident de tout mais elles sont impossibles à prévoir du rivage), la
visibilité; en fait, il n’y a probablement que le nombre de touristes nous
demandant si nous regardons les baleines (!!!) que nous n’avons pas noté! Avant
que la mode de noliser des bateaux pour aller voir les oiseaux pélagiques ne se
développe, le traversier de Trois-Pistoles/Les Escoumins était souvent le seul
moyen d’avoir accès au large. Même accosté au quai des Escoumins, nous
réussissions à faire ce qui était à l’époque de « bonnes »
observations. C’est ainsi que j’ai pu voir ma toute première Mouette pygmée
le 8 septembre 1984, peu après avoir vu mes trois premières
Mouettes de Sabine au large!
La dernière traversée que nous avons effectuée, en plein
après-midi le 20 juillet 2009, nous avions réussi à voir un
Océanite cul-blanc et un Fulmar boréal! Nous n’en demandions pas tant pour
cette fois, mais les conditions étaient propices à de telles rencontres. Nous
étions donc prêts pour la traversée! Malheureusement, ce fut très décevant!
Même les Labbes parasites ont brillé par leur absence, eux qui sont souvent
visibles du rivage dès la mi-juillet. En fait, la seule chose qui nous a
surpris durant la traversée fut la présence marquée de Marsouins communs, en
particulier près de la moitié sud de la traversée.
Malgré cette déception, ce fut avec un grand plaisir que
nous avons retrouvé le village des Escoumins. Il n’a pas vraiment changé depuis
2003 et les oiseaux continuent à être omniprésents un peu partout. Les villages
« en longueur » de la Côte Nord font que la forêt n’est jamais bien
loin de la côte et les Parulines tristes et les Bruants de Lincoln peuvent
encore être entendus du cœur du village alors que Mouettes tridactyles et
Eiders à duvet voltigent le long de la route 138. Nous avons d’ailleurs trouvé
un Moqueur polyglotte aux Escoumins, une autre espèce relativement facile à voir
sur la Haute-Côte-Nord. Ces oiseaux n’ont pas d’autre choix que d’habiter dans
les premiers 500 mètres en bordure du fleuve; plus loin vers l’intérieur,
c’est la forêt!
Mouettes de Bonaparte – Les Escoumins – 27 juillet 2012 © Claude Auchu |
Mouettes de Bonaparte – Les Escoumins – 27 juillet 2012 © Claude Auchu |
Bien entendu, ce sont surtout les mouettes que nous
voulions voir, encore une fois. La Mouette pygmée est omniprésente parmi les
nombreuses Mouettes de Bonaparte rassemblées aux Escoumins et, habituellement,
elles sont faciles à repérer. À preuve, j’ai vu l’espèce plus de 50 journées en
2001 avec régulièrement jusqu’à 4-5 oiseaux! Bien installés derrière la
poissonnerie, nous avons donc inspecté encore et encore chacune des
1300 Mouettes de Bonaparte à la recherche de l’oiseau plus petit et plus
trapu avec une large calotte noire. Mais, rien à faire, nous ne pouvons que
confirmer qu’il n’y a avait pas de Mouette pygmée (ni rien d’autre de notable)
dans ce beau petit groupe de laridés.
En 2001, Christiane s'était amusée à dessiner une scène courante aux Escoumins. "Mouette pygmée et Mouettes de Bonaparte", acrylique © Christiane Girard - 2001 |
Nous aurions bien aimé revivre ce petit coup d’adrénaline
que fournissait toujours la découverte de cet oiseau pourtant régulier. Nous
savons bien que les « pygmées » devaient simplement être ailleurs,
dans une autre baie ou à la sortie d’une autre rivière. Nous aurions bien
voulu… mais où serait le plaisir du birding si nous pouvions si facilement
prévoir tous les oiseaux? Nous nous reprendrons bien un jour, lors d’un
prochain passage dans le pays des mouettes!