Nous
espérions bien que le temps relativement sec de vendredi allait se poursuivre
jusqu’à samedi en mi-journée. Un vent presque nul était aussi annoncé pour
samedi matin, ce qui serait déjà nettement mieux pour nous que le sud-ouest prévu
pour le reste de la journée ainsi que pour dimanche. Notre décision était donc
prise : samedi, on va à Rivière-Ouelle! L’excursion de dimanche vers
l’intérieur des terres sera consacrée aux passereaux.
Mais
voilà qu’à 4 h 30 samedi matin, un brouillard très dense flottait sur
La Pocatière! Il était tout de même possible de discerner la lune, ce qui
nous laissait espérer qu’il n’était pas très épais et qu’il ne recouvrait que
l’intérieur des terres… Nous nous sommes donc mis en route pour Rivière-Ouelle
pour nous retrouver, comme à La Pocatière, sous le brouillard. La visibilité
nulle nous empêchant de commencer l’excursion par le quai comme c’est notre
habitude, nous avons opté pour les zones boisées et buissonneuses. Peut-être
que les passereaux ayant migré durant la nuit ont réussi à rejoindre ces
secteurs lorsque le brouillard s’est formé!?! Les arrêts ont été nombreux et
parfois très fructueux, ce qui nous a fourni un bel assortiment de passereaux
et même quelques limicoles sur les rives du fleuve.
Il
était déjà 9 h 00 lorsque nous avons atteint le quai. Il est extrêmement
rare que nous arrivions au quai aussi tardivement et notre ambition à une telle
heure était surtout d’ajouter un échantillon d’espèces aquatiques à notre liste
de la matinée. À notre arrivée, le brouillard retraitait rapidement vers le
large et la visibilité entre notre position et le mur de brume était étonnamment
excellente. En nous installant au bout du quai, outre quelques cormorans, les
deux premiers oiseaux observés ont été une Mouette tridactyle et un Fou de
Bassan, deux espèces provenant de l’est qui nous laissaient rêver que des
oiseaux pélagiques perdus dans le brouillard allaient peut-être se manifester.
Mais, après deux Océanites cul-blanc il y a deux semaines et un Puffin des
Anglais la semaine dernière, nous étions certains d’avoir épuisé notre part de
chance pour les espèces de pleine mer! À ce moment, nous ne savions pas encore
que nous allions faire une des observations les plus incroyables de nos
carrières d’observateurs d’oiseaux!...
Une
fois au bout du quai, bien installés sur nos fidèles petits bancs et les
télescopes pointés vers le large, nous avons repris notre routine habituelle
qui consiste à essayer d’identifier tous les oiseaux, même ceux qui circulent
les plus loin au large. Compte tenu de l’heure, tout était plutôt calme, mais quelques
fous qui remontaient lentement le fleuve gardaient nos sens en éveil. Puis, à
9 h 50, j’ai remarqué au loin un oiseau très élancé au vol léger qui
se dirigeait rapidement vers le nord-est. En l’indiquant à Christiane, j’ai
poussé l’oculaire de mon télescope de 20 à 60X pour confirmer qu’il s’agissait
d’un labbe. Déjà, au tout premier coup d’œil, le labbe m’avait paru trop élancé
pour un Labbe parasite mais, en le regardant en détail, l’absence complète de
bande pectorale et, plus encore, de zone blanche sur et sous les primaires nous
a rapidement permis de confirmer que nous avions affaire à un Labbe à longue
queue adulte! Nous l’avons suivi alors qu’il filait vers le nord-est d’un vol
très léger, comparable à celui d’une sterne. Il longeait la jonction entre deux
courants où il descendait parfois cueillir quelque chose à la surface de l’eau
avant de continuer sa route. Le labbe a fini par rejoindre un petit groupe de
goélands posés à l’eau au nord de notre position. Il a alors commencé à faire
des allers-retours dans ce secteur tout en allant régulièrement ramasser de la
nourriture sur l’eau sans se poser. À aucun moment il n’a attaqué les goélands
passant en vol près de lui comme l’aurait fait un Labbe parasite. Nous étions
déjà surexcités par cette observation lorsqu’un deuxième Labbe à longue queue
est venu rejoindre le premier!!! Les deux oiseaux se suivaient souvent de
très près et, de cet angle, il était parfois possible de voir le contraste entre
les couvertures sus-alaires plus pâles et les rémiges primaires et secondaires
plus sombres.
Après
cinq minutes d’observation, nous avons laissé les labbes pour repointer nos
télescopes droit devant nous. Nous parlions encore de ce dont nous venions
d’être témoins lorsque, à 10 h 15, les deux labbes sont repassés
devant nous, cette fois en direction sud-ouest et en s’approchant de la rive!
Les détails physiques notés plus tôt étaient encore bien visibles, tout comme
leur mode d’alimentation typique de l’espèce. Après quelques instants, les
oiseaux ont fait demi-tour pour redescendre vers le nord-est. Nous avons de
nouveau braqué les télescopes devant nous pour attendre le passage des labbes.
Il était 10 h 25 lorsque les deux oiseaux sont réapparus, produisant
encore une fois une forte dose d’adrénaline! Les labbes avaient rejoint la
ligne de courants et nous nous sommes gâtés en suivant longuement leurs
déplacements (les rencontres avec cette espèce sont tellement rares…!). C’est
alors que l’impossible s’est produit : un troisième, puis un quatrième
Labbe à longue queue se sont joints au mouvement des deux premiers, suivis d’un
cinquième, d’un sixième et d’un septième!!! Puisque tous ces oiseaux se
dirigeaient vers le nord-est, nous avons fait pivoter lentement nos télescopes
dans le sens opposé, ce qui nous a permis d’ajouter onze autres Labbes à longue
queue!!!!! Ces 18 Labbes à
longue queue se suivaient de très près puisqu’à ce moment, moins de
100 mètres séparaient le premier oiseau du dernier! Nous sommes demeurés
sur place une heure supplémentaire à surveiller le large afin d’être certains
que le passage du « groupe » était vraiment terminé. Durant cette
heure (et en fait durant le reste de la fin de semaine), des questions telles :
« Est-ce que nous avons rêvé??? » sont revenues continuellement!
Tous
ces oiseaux nous ont semblé être des adultes (ou, du moins, il n’y avait aucun
juvénile parmi eux) et portaient un plumage remarquablement similaire :
- la calotte était noire
- le dos et les couvertures sus-alaires étaient gris sombre
- la face, la poitrine et le ventre étaient blanchâtres
- aucune trace de bande pectorale n’était visible
- les rémiges primaires et secondaires étaient noires sans trace de blanc sur et sous les primaires
- le dessous des ailes était gris foncé uni et nous a d’ailleurs semblé être la partie la plus sombre après la calotte
- les longues rectrices centrales caractéristiques de l’espèce n’ont pu être discernées chez les deux oiseaux que nous avons le mieux vus. Peut-être était-ce dû à la distance ou encore ces plumes étaient-elles brisées ou tombées comme c’est régulièrement le cas chez les adultes en automne? Pour les autres oiseaux, nous nous sommes surtout attardés aux détails de la poitrine et des ailes afin de confirmer l’identification et l’âge.
Il
s’agit sans contredit d’une des observations les plus inusitées que nous ayons
faites en plus de 40 ans d’ornithologie! Découvrir un Labbe à longue queue
est déjà un événement en soit, en voir deux au cours d’une même excursion est
exceptionnel, mais la possibilité d’en voir une telle quantité ne nous avait
jamais effleuré l’esprit!
Qu’est-ce
qui a bien pu pousser tous ces oiseaux jusqu’à Rivière-Ouelle? Il est évident
que le brouillard a joué un rôle prépondérant, probablement jumelé au vent du
nord-est (même s’il était léger) et à la marée montante en fin de nuit. À mon
avis, les labbes ont été aussi surpris que nous de se retrouver au large du
quai de Rivière-Ouelle lorsque le brouillard s’est dissipé. Arrivaient-ils de
l’estuaire maritime ou encore de l’Arctique? S’ils provenaient de l’estuaire
maritime, il m’apparaît surprenant qu’autant d’individus se soient retrouvés ensemble
dans ce secteur au même moment. S’ils arrivaient directement de l’Arctique, ce
n’est probablement qu’à leur arrivée au niveau du Saint-Laurent qu’ils ont
rencontré le brouillard puisque le ciel était presque clair au-dessus de
La Pocatière. Personnellement, c’est la deuxième option que je privilégie :
ce groupe de Labbes à longue queue adultes a atteint le fleuve en fin de nuit,
au moment où le brouillard était le plus intense et où la marée haute (la plus
forte marée du mois a atteint son apogée à 5 h 41) associée au vent
du nord-est laissait peut-être flotter une « odeur » de grand large
qui a faussé l’orientation des oiseaux. Mais est-ce que les labbes migrent en
groupe? Eh bien oui et des groupes migrateurs de 15 à 25 Labbes à
longue queue ont déjà été rapportés. Du 6 au 11 août
1995, 850 adultes en migration ont même été comptés en Grande-Bretagne! Il
serait surprenant que tous ces oiseaux aient été vus individuellement!
Nous
avons eu encore une fois la confirmation que Rivière-Ouelle se trouve à un
point stratégique pour l’observation des oiseaux de mer. Nous savons tous
maintenant que le Labbe parasite peut y être observé en nombre inégalé ailleurs
au Québec (voir ce message, cet autre ou encore celui-ci!). Il nous reste
encore bien des choses à découvrir sur ce site et la façon dont de tels oiseaux
pélagiques peuvent s’y retrouver mais, à partir de maintenant, je ne verrai
plus jamais les matinées de brouillard de la même façon…!
Avant,
pendant et après les Labbes à longue queue, nous avons observé 75 espèces
à Rivière-Ouelle samedi le 20 août
entre 5 h 15 et 12 h 00. En voici un large
échantillon :
- 37 Canards noirs
- 1 Canard souchet
- 2 Fuligules milouinans
- 35 Eiders à duvet
- 1 Macreuse à front blanc
- 1 Macreuse brune
- 22 Plongeons catmarins – Tous posés à l’eau, dérivant dans la ligne de courants que suivaient les fameux labbes.
- 2 Plongeons huards
- 10 Grèbes jougris – Seulement deux de ces oiseaux étaient en vol, les autres sont passés à l’eau devant le quai en duo ou en trio. Il est plutôt rare de voir autant de grèbes posés au quai de Rivière-Ouelle, ce qui laisse encore croire à une migration interrompue.
- 8 Fous de Bassan
- 57 Cormorans à aigrettes
- 22 Grands Hérons
- 1 Marouette de Caroline – Le passage d’un Faucon émerillon chassant les libellules au-dessus d’un étang a provoqué les cris nerveux de la part d’une Marouette de Caroline. Merci à l’émerillon d’avoir fait réagir ce discret habitant des quenouilles!
- 1 Pluvier argenté
- 24 Pluviers semipalmés
- 2 Pluviers kildirs
- 9 Chevaliers grivelés
- 1 Chevalier solitaire
- 2 Petits Chevaliers
- 3 Tournepierres à collier
- 1 Bécasseau sanderling
- 3 Bécasseaux minuscules
- 19 Bécasseaux semipalmés
- 7 Bécassins roux
Bécassins roux (Short-billed Dowitchers – Limnodromus griseus)
Rivière-Ouelle – 20 août
2016 © Claude Auchu |
- 18 Labbes à longue queue – Il s’agit de la septième mention pour la région et la quatrième en août.
- 2 Mouettes tridactyles
- 2 Mouettes de Bonaparte
- 500 Goélands à bec cerclé
- 20 Goélands argentés
- 7 Goélands marins
- 4 Colibris à gorge rubis
- 3 Pics flamboyants
- 1 Grand Pic – Un oiseau était posé sur un fil électrique en plein champ!
- 1 Crécerelle d’Amérique – Une crécerelle était perchée dans un arbuste tout près d’un Faucon émerillon. Il est plutôt rare qu’un oiseau ose s’approcher d’un émerillon, une espèce reconnue pour son caractère belliqueux!
- 2 Faucons émerillons
- 1 Moucherolle tchébec
- 4 Hirondelles bicolores
- 2 Hirondelles de rivage
- 2 Hirondelles rustiques
- 1 Grive fauve
- 2 Parulines obscures
- 1 Paruline à joues grises
- 8 Parulines masquées
- 7 Parulines flamboyantes
Paruline
flamboyante (American Redstart – Setophaga
ruticilla)
Rivière-Ouelle – 20 août
2016 © Claude Auchu |
- 3 Parulines tigrées
- 1 Paruline à collier
- 3 Parulines à tête cendrée
- 1 Paruline à poitrine baie
- 1 Paruline à croupion jaune
- 2 Cardinaux à poitrine rose
- 1 Tarin des pins
- 30 Chardonnerets jaunes
- 1 Gros-bec errant
Nous
avions déjà réservé la matinée de dimanche matin pour une excursion à
Saint-Onésime lorsque j’ai appris, vendredi, qu’une famille de Dindons sauvages
fréquentait un secteur bien défini! Dans la région, le statut de ce gros
gallinacé aux origines souvent douteuses se limite encore à celui de visiteur
exceptionnel. En plus de quelques observations sans équivoques provenant
principalement de la région de Saint-Pamphile, je connais plusieurs mentions de
« seconde main » provenant de Rivière-Ouelle, Saint-Pacôme et
Saint-Onésime. Il m’apparaît de plus en plus certain que le dindon fait
vraiment partie de notre avifaune et pas seulement de façon exceptionnelle.
Malgré
un petit détour de notre part dès le lever du soleil, nous n’avons pas réussi à
trouver les dindons. Notre promenade s’est ensuite déroulée rondement malgré le
vent qui soufflait furieusement du sud-ouest. Le nombre de parulines
identifiées s’en est trouvé diminué; nous avons d’ailleurs réussi à identifier
moins d’une dizaine d’individus d’un groupe de plus de 40 parulines qui a
traversé une route devant nous.
Dimanche le 21 août, notre promenade à
Saint-Onésime s’est tout de même terminée avec 56 espèces observées entre
5 h 50 et 11 h 20, comme, par exemple :
- 1 Busard Saint-Martin
- 1 Autour des palombes – Les rencontres avec ce rapace sont toujours fortuites. Dimanche, c’est un immature qui est venu nous surprendre.
- 2 Chevaliers grivelés
- 7 Colibris à gorge rubis – Nous sommes présentement dans la période de l’année où les colibris sont les plus abondants et ce fut bien évident dimanche matin. Aucun n’a pourtant été vu à un abreuvoir.
- 1 Martin-pêcheur d’Amérique
- 1 Pic maculé
- 2 Pics mineurs
- 1 Pic chevelu
- 1 Pic flamboyant
- 1 Crécerelle d’Amérique
- 1 Faucon émerillon
- 2 Moucherolles tchébecs
- 1 Moucherolle phébi
- 1 Viréo à tête bleue
- 15 Viréos aux yeux rouges
- 8 Geais bleus
- 150 Corneilles d’Amérique – Nous avons fait notre entrée dans Saint-Onésime juste au moment où des corneilles quittaient leur dortoir!
- 2 Hirondelles à front blanc
- 3 Hirondelles rustiques
- 17 Mésanges à tête noire
- 12 Sittelles à poitrine rousse
- 1 Grive fauve
- 25 Merles d’Amérique
- 8 Parulines obscures
- 10 Parulines masquées
- 2 Parulines flamboyantes
- 11 Parulines tigrées – Voilà une espèce qui profite pleinement de l’invasion de Tordeuses de bourgeons de l’épinette qui sévit dans le nord et l’est du Québec!
Paruline
tigrée (Cape May Warbler – Setophaga
tigrina)
Saint-Onésime – 21 août
2016 © Claude Auchu |
- 4 Parulines à collier
- 4 Parulines à tête cendrée
- 5 Parulines à poitrine baie
- 6 Parulines à gorge orangée
- 1 Paruline jaune
- 4 Parulines à flancs marron
- 1 Paruline bleue
- 1 Paruline à couronne rousse
- 3 Parulines à croupion jaune
- 3 Parulines à gorge noire
Paruline à gorge noire (Black-throated Green Warbler –
Setophaga virens)
Saint-Onésime – 21 août
2016 © Claude Auchu |
- 3 Cardinaux à poitrine rose
- 1 Goglu des prés
- 75 Quiscales bronzés
- 12 Roselins pourprés – Il est surprenant qu’aussi peu d’individus soient présents dans le village et les forêts de Saint-Onésime, surtout que j’en ai vu 20 dans une même mangeoire à La Pocatière durant l’après-midi!
- 1 Bec-croisé bifascié
- 16 Chardonnerets jaunes
- 5 Gros-becs errants
Pour nous, cette fin de semaine passera à l’histoire comme étant celle des 18 Labbes à longue queue. Même munis de puissantes lunettes d’approche, les 14 kilomètres d’eau salée entre le quai de Rivière-Ouelle et Saint-Irénée, dans Charlevoix, offre amplement de cachettes aux espèces pélagiques. Nous savons bien que les trois ou quatre heures que nous y passons une seule matinée par semaine ne nous permet pas de tout voir. J’ose à peine imaginer ce que l’on manque…!