mardi 29 janvier 2013

Il était une fois... un Cardinal à tête noire!

La semaine dernière, un Cardinal à poitrine rose a été découvert à Vaudreuil-Dorion, une des très rares mentions québécoises bien documentées pour cette espèce en plein cœur de l’hiver. Puisque nous sommes présentement dans un période particulièrement tranquille pour les oiseaux et que, malgré nos efforts, nous ne parvenons pas à accumuler de listes quotidiennes décentes, j’ai fouillé dans mes archives pour vous raconter la rencontre avec une des espèces les plus remarquables pour ma région : un Cardinal à tête noire!
Le vendredi 21 novembre 2003, par une matinée très brumeuse, nous avons fait une tournée des mangeoires de différents quartiers de La Pocatière, comme nous le faisons encore aujourd’hui. En circulant dans une rue, jumelles au cou, nous avons été interpellés par un homme qui, sortant de sa maison, nous a demandé les dernières nouvelles des oiseaux de la région. En discutant, il nous a signalé tout bonnement qu’un oiseau qu’il ne parvenait pas à identifier fréquentait sa mangeoire depuis quelques jours. Il nous a décrit l’oiseau comme étant un gros bruant avec les dessous jaunes et la tête rayée « comme s’il portait un casque de bicycle ». Ne voyant pas de quel oiseau il pouvait bien s’agir, nous avons été gentiment invité par le propriétaire à inspecter sa cour. Il est ensuite rentré chez lui et nous sommes restés près de sa maison, à évaluer la situation. Presqu’immédiatement, notre attention a été attirée par les mouvements d’un oiseau perché dans les thuyas situés tout près. Nous avons rapidement pointé nos jumelles vers lui et nous avons eu la surprise de voir un cardinal du genre Pheucticus! Sa grosse tête noir et blanc et son dos brun nous indiquaient qu’il s’agissait d’une femelle ou d’un immature. L’oiseau s’est ensuite tourné vers nous et la surprise s’est transformée en choc lorsque nous avons vu ses dessous jaunâtres! La possibilité d’un Cardinal à tête noire, ce très rare visiteur de l’ouest, nous est rapidement venue à l’esprit. Nous nous sommes rapidement précipités dans le fond de la cour d’où nous avions une vue imprenable sur la mangeoire. Ainsi installés à une bonne distance, nous espérions que le cardinal ose se présenter à découvert. D’après le propriétaire des lieux, c’était un oiseau très nerveux qui ne venait se nourrir que quelques secondes à la fois. Mais nous avons été rapidement récompensés et, à plusieurs reprises, le cardinal est venu se nourrir à la mangeoire où nous l’avons observé à l’aide de jumelles 8X42 et d’un téléscope 20-60X82. Tous les critères ont alors été rassemblés et nous ont permis de confirmer l’identification du Cardinal à tête noire! Nous l’avons revu une dernière fois le lendemain, le 22 novembre, se nourrissant de graines de tournesol et de fruits de Nerprun cathartique ou se chauffant au soleil, perché dans les thuyas. Plusieurs photographies ont alors été prises.
 
Voici les tous les détails notés durant ces séances d’observation :
  • Tête relativement grosse rayée de brun sombre et de blanc
  • Calotte brune, séparée en son centre par une mince ligne blanchâtre
  • Larges sourcils blancs se rejoignant à la nuque; la partie la plus près du bec était légèrement roussâtre
  • Région auriculaire brune
  • Raie malaire blanche s’étirant jusqu’à l’arrière de la région auriculaire
  • Parties inférieures (gorge, poitrine, flancs, ventre et sous-caudales) jaunâtres légèrement ocrées devenant plus pâles aux sous-caudales
  • Fines rayures sombres disjointes présentes uniquement sur les flancs
  • Dos brun portant de larges rayures foncées
  • Croupion brun, rayé
  • Ailes brunes avec deux barres blanches bien visibles. Certaines rémiges secondaires et tertiaires avaient également la pointe blanche. Une minuscule marque blanche était aussi apparente à la base des primaires.
  • Couvertures sous-alaires jaune brillant, notées alors que l’oiseau volait ou se lissait les ailes
  • Queue brune de longueur moyenne
  • Œil noir
  • Bec très gros, mandibule supérieure gris foncé, mandibule inférieure rosée avec un peu de gris près du tomie
  • Pattes grises. L’oiseau avait souvent la patte gauche légèrement pendante, laissant croire qu’elle était blessée ou douloureuse.
Les détails observés indiquaient de façon non-équivoque qu’il s’agissait d’un Cardinal à tête noire. Les dessous jaunâtres et les fines rayures sur les flancs sont les caractéristiques habituellement mentionnées dans les guides pour identifier cette espèce en plumage femelle. Il pourrait cependant exister un risque de confusion avec certains Cardinaux à poitrine rose immatures qui, à leur premier automne, peuvent avoir les dessous brun-jaunâtre. Les jeunes femelles de cette espèce portent toutefois de larges rayures sombres jusqu’en travers de la poitrine qui sont bien différentes des minces lignes concentrées aux flancs de notre oiseau. Les jeunes mâles, quant à eux, n’ont que peu de rayures dessous, mais un faible rosé est habituellement visible sur la poitrine. De toute façon, les couvertures sous-alaires sont roses chez tous les mâles du Cardinal à poitrine rose, peu importe l’âge, et non jaunes comme chez notre oiseau. Nous avions donc bel et bien affaire à un Cardinal à tête noire!
Cardinal à tête noire – La Pocatière – 22 novembre 2003 © Claude Auchu
Des détails plus secondaires ont aussi été notés. La mandibule supérieure sombre pointait également vers le Cardinal à tête noire, mais ce critère semble plus ou moins valable à l’automne. La coloration vive des couvertures sous-alaires serait aussi typique du Cardinal à tête noire. Mais, en toute honnêteté, il faudrait vraiment des conditions exceptionnelles pour réussir à saisir la différence entre le jaune brillant du Cardinal à tête noire et le jaune plus mat du Cardinal à poitrine rose femelle!
D’autres caractéristiques plus sûres nous ont même permis de déterminer le sexe et l’âge du cardinal. Les mâles du Cardinal à tête noire présentent un contraste entre leur dos rayé de brun et leur croupion uni, de couleur fauve chez l’immature et cannelle chez l’adulte. Chez notre oiseau, l’absence de contraste entre le dos et le croupion, tous deux rayés de brun, élimine la possibilité d’un mâle. Notre cardinal était donc une femelle.
Et maintenant, était-ce une femelle adulte ou immature? Chez plusieurs espèces de passereaux, une mue partielle se produit souvent chez les jeunes oiseaux durant leur premier automne. C’est le cas chez les cardinaux du genre Pheucticus où une partie des couvertures sus-alaires, celles situées les plus près du corps, est remplacée par des plumes neuves. Lorsqu’observé attentivement (et de près!), il peut être possible de voir la différence entre les vieilles plumes, qui sont usées et de coloration plus pâle, et les plumes neuves qui sont en parfait état et légèrement plus sombres. Bien vues au téléscope, les couvertures sus-alaires toutes du même ton de brun nous ont confirmé qu’il s’agissait d’un adulte. La très petite quantité de blanc visible à la base des primaires aurait pu laisser croire à la possibilité d’un immature mais, chez certaines femelles adultes, ce blanc est tellement restreint qu’il n’est pas discernable autrement qu’en ayant l’oiseau en main. Tous ces détails nous ont permis de conclure qu’il s’agissait d’une femelle adulte de Cardinal à tête noire.
Cardinal à tête noire – La Pocatière – 22 novembre 2003 © Claude Auchu
Le Cardinal à tête noire niche dans les forêts de la moitié ouest des États-Unis. Au Canada, il est restreint au sud de la Colombie-Britannique, à l’extrême sud de l’Alberta et parfois de la Saskatchewan. Il hiverne principalement au Mexique. C’est une espèce très près génétiquement de notre Cardinal à poitrine rose qu’il remplace d’ailleurs dans l’ouest du continent. Certains considèrent même que ces deux espèces n’en forment en fait qu’une seule. Dans la mince zone de chevauchement de leurs aires de nidification, des hybrides sont régulièrement observés. Dans l’est du continent, le Cardinal à tête noire est un visiteur inusité qui est observé surtout en fin d’automne ou en hiver, soit longtemps après que les derniers Cardinaux à poitrine rose aient quitté leurs quartiers d’été. L’oiseau de La Pocatière n’était à ce moment que la troisième présence de l’espèce au Québec. Il consitue encore une des espèces les plus rares à l’échelle provinciale jamais trouvée dans ma région. Il y a maintenant sept mentions dans la province : trois en novembre, une en mai, une en juin et deux d’oiseaux qui semblent avoir réussi à hiverner! Les mentions hivernales du Cardinal à poitrine rose ne sont pas beaucoup plus communes, je crois même qu’il n’y a pas encore d’hivernage réussi au Québec! Autrement dit, le Cardinal à poitrine rose est probablement plus rare au Québec en hiver que son cousin à tête noire! Si vous avez la chance d’en croiser un, inspectez-le bien! En attendant, souhaitons bonne chance au Cardinal à poitrine rose de Vaudreuil-Dorion!