lundi 28 février 2011

L'Épervier de Cooper et les Pigeons bisets

Sur mon lieu de travail, je me fais un devoir de dîner à l’extérieur du 20 mars au 5 décembre, peu importe la température. Jeudi dernier, le 24 février, j’ai décidé de profiter d’un soleil flamboyant digne du mois d’avril pour casser la croûte à l’extérieur. Je me disais qu’avec un peu de chance, je pourrais peut-être ajouter une ou deux espèces à mes listes quotidiennes toujours maigres durant la semaine! Les grands champs agricoles situés du côté sud de l’édifice n’offrent cependant pas un grand choix d’espèces en février : les Grands Corbeaux, les Pigeons bisets et les Plectrophanes des neiges sont les plus réguliers.
Mon repas est commencé depuis à peine cinq minutes que j’entends des bruits d’ailes presqu’au-dessus de ma tête. Je lève rapidement les yeux et j’ai tout juste le temps de voir trois pigeons poursuivis par un Épervier de Cooper à moins de cinq mètres de moi!!! Je bondis de ma chaise juste comme les oiseaux disparaissent derrière le toit. Le tout n’a duré qu’une fraction de seconde mais j’ai l’image nettement gravée dans mon cerveau : trois pigeons suivis de l’épervier effectuant un virage serré, me montrant ainsi le dos brun et la longue queue étroite à bout arrondi du jeune rapace. J’ai même l’impression que l’épervier a légèrement tourné la tête pour me regarder! C’est vraiment surprenant de constater à quel point le cerveau peut réagir rapidement même lorsque l’on n’est pas vraiment préparé à un tel événement! Mais il faut dire qu’avec plusieurs milliers d’Éperviers bruns et quelques centaines d’Autours des palombes à mon actif (la majorité ayant été observé durant les neuf automnes que j’ai passés à l’Observatoire d’oiseaux de Tadoussac), le « jizz » des éperviers n’est jamais rangé bien loin dans ma tête…
On peut presque considérer l’Épervier de Cooper comme étant un ajout récent à l’avifaune de la région de La Pocatière. Mes notes indiquent que je n’ai eu que 6 mentions entre 1982 et 1990 mais 28 mentions depuis 2005! Durant les années 1980 et ’90, l’Épervier de Cooper faisait partie des quelques espèces qui, paradoxalement, devenaient plus difficiles à trouver au fur et à mesure que je gagnais en expérience…! Mais, depuis, il est évident que l’espèce a fait un retour en force dans la région. L’abbé René Tanguay ne mentionne pas l’espèce dans l’article « Les oiseaux des comtés de Kamouraska, L’Islet et Montmagny » qu’il a publié dans le périodique Le Naturaliste canadien en 1964-65. Le Musée du Québec posséderait cependant un spécimen (#3590) capturé à Sainte-Louise-des-Aulnaies (à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de La Pocatière) le 20 septembre 1936. C’est donc dire que l’espèce était déjà présente dans la région il y a 75 ans.
Le 17 août 2008, Christiane et moi avons trouvé trois juvéniles et un adulte Épervier de Cooper dans le boisé Beaupré à La Pocatière; à ma connaissance, il s’agirait d’une première mention de nidification dans la région. Nous avons d’abord entendu un cri inconnu de nous deux mais que nous avons pu immédiatement classer dans la catégorie « cris de jeunes rapaces quémandant de la nourriture ». Le cri était lancé avec régularité, toujours du même endroit. En nous approchant lentement, nous avons finalement fait envoler un gros épervier identifié sans difficulté comme un Épervier de Cooper juvénile. En suivant le rapace dans le boisé, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait au moins trois oiseaux qui criaient! Ils étaient posés dans un rayon d’une quinzaine de mètres et ne volaient que sur de courtes distances. Nous avons réussi à voir les oiseaux posés à quelques reprises, nous permettant de noter les critères essentiels : grande taille, queue arrondie avec large bande terminale blanche, dessous fortement rayés de fines lignes sur la poitrine et les flancs mais ventre presque blanc, pattes nettement plus fortes que celles de l’Épervier brun. Ils lançaient toujours la même note, un ki-hirrr légèrement enroué (on peut voir et entendre un Épervier de Cooper juvénile lançant ce cri sur ce lien). À une occasion, nous avons aussi entendu le cri typique d’un adulte qui devait se trouver tout près d’un des juvéniles. L’habitat nous semble parfait pour la nidification de l’Épervier de Cooper : une jeune érablière avec quelques Pins blancs de taille moyenne située près de petits champs agricoles. Un peu plus loin se trouve un massif de Pins sylvestres dans lequel la Petite Buse et le Grand-duc d’Amérique se sont déjà succédés sur un nid.
L’Épervier de Cooper était peut-être un des principaux prédateurs naturels des Tourtes voyageuses dans la région en 1850… Probablement que des Pigeons bisets ou des Tourterelles tristes doivent signifier la même chose pour lui en 2011!

lundi 21 février 2011

Les premiers migrateurs

Jeudi et vendredi dernier, la température à La Pocatière a monté jusqu’à 5°Celcius et nous avons reçu une bonne quantité de pluie. Ce fut suffisant pour commencer à sentir les premiers signes du printemps! Samedi le 19 février, le nombre de Corneilles d’Amérique avait augmenté au point qu’il devenait évident que de nouveaux oiseaux s’étaient ajoutés aux quelques individus hivernants. Partout dans les champs bordant la ville, des Grands Corbeaux étaient posés en duo et jouaient dans les plumes de l’autre ou pourchassaient en vol les oiseaux « célibataires ». Une première Buse pattue de forme sombre a survolé la ville en direction sud-ouest, un comportement normal ici en migration printanière dont j’aurai sûrement l’occasion de reparler. Il s’agit de notre première Buse pattue ici depuis le 12 décembre. Il ne semble pas y avoir eu d’hivernant cette année dans le secteur que nous fréquentons. Bien entendu, il est impossible de savoir d’où viennent les corneilles et la buse que nous considérons comme des migrateurs. Ils arrivent possiblement du nord-est des États-Unis ou peut-être aussi simplement d’un site situé à quelques kilomètres d’ici.
Il n’y a pas que les oiseaux qui ressentent l’arrivée du printemps. Un peu partout autour de la ville flottait l’odeur caractéristique des Renards roux. Les pistes d’un Raton-laveur ont aussi été remarquées dans la neige.
Samedi, un observateur nous a rapporté avoir vu un Épervier de Cooper adulte chez lui quelques jours plus tôt. Moins de cinq heures plus tard, nous avons à notre tour croisé l’épervier dans un autre secteur de la ville. Heureusement que les choses ne sont pas toujours aussi faciles sinon il n’y aurait plus de défi…!
À notre grande surprise, dimanche le 20 février, nous avons retrouvé deux des quatre Oies des neiges vues à l’ouest de La Pocatière jusqu’à la mi-janvier! Elles se trouvent maintenant à quatre kilomètres du site du mois de janvier, toujours en bordure de grands champs. Les oiseaux semblaient en forme mais elles étaient continuellement harcelées par deux Grands Corbeaux qui, à notre avis, y voyaient peut-être leur prochain repas. Même si l’hiver qui s’achève n’a pas été vraiment rigoureux (pas de vraies tempêtes, relativement peu de neige au sol, périodes de froid plutôt brêves), ces oies ont tout de même été obligées de se contenter des quelques graines trouvées dans les champs pour survivre.

lundi 14 février 2011

Nos bruants en hiver

Dimanche le 6 février, nous avons eu la surprise de découvrir un Junco ardoisé à une mangeoire de La Pocatière que nous visitons pourtant à chaque semaine depuis le début de l’hiver. Et samedi dernier, le 12 février, c’est un Bruant à gorge blanche que je trouve à une autre mangeoire du même secteur! Mais où étaient donc ces oiseaux durant les semaines précédentes?
Précisons pour commencer que je ne crois pas que les bruants, sauf exception, puissent hiverner dans la région de La Pocatière sans avoir recours aux mangeoires. L’exception est le Bruant hudsonien qui, de toute évidence, est plus résistant que ses cousins. Peut-être a-t-il un régime alimentaire plus « élastique » que les autres bruants et qu’il peut ainsi trouver plus facilement de la nourriture. Ou encore a-t-il simplement une constitution plus résistante. Toujours est-il que, localement, le Bruant hudsonien est le seul bruant à oser s’éloigner des mangeoires au cœur de l’hiver. D’ailleurs, cette année, nous avons un petit groupe de trois à cinq hudsoniens qui errent dans le secteur où nous avons trouvé le junco et le Bruant à gorge blanche en s’arrêtant parfois aux mangeoires. Au début des années 1990, j’ai même déjà rencontré un hudsonien en pleine forêt en plein mois de février sans une seule mangeoire présente à proximité; il est évident que cet oiseau trouvait en forêt tout ce qui était nécessaire à sa survie.
Peu d’espèces de bruants ont osé traverser la saison froide dans ma région au fil des années. Le plus régulier est tout de même le Junco ardoisé (jusqu’à une quinzaine d’oiseaux certains hivers), suivi du Bruant hudsonien (aussi en petits groupes), du Bruant à gorge blanche et du Bruant chanteur. Le seul autre bruant a avoir hiverné dans la région que je couvre régulièrement est un Bruant familier que j’ai vu les 8 et 21 mars 2004 à La Pocatière. La date moyenne d’arrivée printanière dans la région étant le 20 avril, il est évident que cet oiseau avait réussi à hiverner incognito!
Curieusement, durant les sept hivers que nous avons passés aux Escoumins, les bruants hivernant y étaient nettement plus faciles à trouver qu’à La Pocatière. En janvier ou février, il n’était pas rare de voir un bruant apparaître subitement à une mangeoire pourtant inspectée régulièrement! Plus de bruants réussissent donc à hiverner en forêt sur la Côte Nord comme nous en avons été nous-mêmes témoins à plusieurs reprises. En effet, durant les journées les plus froides de janvier et février 1997, nous avons régulièrement observé jusqu’à sept Juncos ardoisés suivant les groupes de Bec-croisés bifasciés. Les juncos se nourrissaient des graines que les bec-croisés échappaient en fouillant dans les cônes de conifères! Et ces juncos redevenaient invisibles aussitôt que la température remontait!
Tout semble donc indiquer que le Junco ardoisé trouvé le 6 février et le Bruant à gorge blanche vu samedi dernier étaient présents sur place depuis un certain temps. Malgré nos recherches (et nos plaintes que l’hiver 2010-11 est sans surprise chez les oiseaux), il est évident que certaines de ces petites bêtes à plumes continuent quand même à nous déjouer.

lundi 7 février 2011

Pèlerinage à Dégelis

La ville de Dégelis se trouve à l’extrémité sud du lac Témiscouata, à 13 km de la frontière Québec/Nouveau-Brunswick. Ma première excursion ornithologique à Dégelis remonte au mois de juillet 1984. J’avais eu, à ce moment, le plaisir de compléter la parcelle contenant la ville et ses alentours lors du premier Atlas des oiseaux nicheurs du Québec. Je me souviens que j’avais été marqué par le paysage vallonné de la région et, surtout, de m’être renseigné auprès des habitants sur l’état de la rivière durant la saison froide. Est-ce vrai que la rivière Madawaska qui traverse la ville ne gèle jamais et que des canards en profitent pour hiverner sur place? Oui, c’est vrai!!! Et depuis, à presque chaque hiver que j’ai passé à La Pocatière, je me suis fait le plaisir de parcourir les 150 km séparant La Pocatière de Dégelis afin de « couper » la saison froide et de pouvoir enfin observer des canards.

C’est samedi le 5 février, profitant de la température printanière, que nous avons donc fait notre pèlerinage annuel à Dégelis. Et cette année, ce fut particulièrement fructueux! Dès notre arrivée, un rassemblement suspect de corneilles et de corbeaux en bordure de la route nous a permis de voir un Grand-duc d’Amérique qui essayait, tant bien que mal, de dormir bien caché dans une épinette. Le petit barrage construit entre le lac Témiscouata et la rivière Madawaska crée assez de remous pour laisser une petite partie du lac libre de glace durant tout l’hiver. Le nombre de goélands hivernants sur place augmente à chaque année. Le 2 février 1992, je n’avais vu qu’un seul Goéland marin alors que samedi dernier, il y en avait 104, en plus de deux Goélands bourgmestres et d’un Goéland argenté. Et à ma connaissance, le contenu du site d’enfouissement situé juste à côté et qui les nourrit sûrement n’a pas changé!


Garrots à oeil d'or, Garrots d'Islande, Canards colverts - Dégelis - 5 février 2011
 
Sur la rivière, les espèces de canards habituels étaient présents : 8 Canards noirs, 65 Canards colverts, 105 Garrots à œil d’or, 14 Garrots d’Islande, 7 Harles couronnés (leur site d’hivernage régulier le plus septentrional au Québec?) et 11 Grands Harles. Comme il arrive régulièrement, la présence d’anatidés plus inusités au cœur de l’hiver nous a agréablement surpris : un Canard pilet femelle et cinq Bernaches du Canada ont été très faciles à trouver. Pour le pilet, il s’agit possiblement d’une première tentative d’hivernage dans le Bas-Saint-Laurent alors que je me souviens qu’une bernache blessée a déjà hiverné sur place il y a une vingtaine d’années. Il y a bien sûr une évolution chez les populations des espèces plus communes. Le Canard colvert, comme partout ailleurs au Québec, prend de plus en plus de place sur le site, peut-être au détriment des autres espèces. Lors de ma première visite hivernale à Dégelis, le 10 mars 1985, j’avais recensé 38 Canards noirs mais aucun Canard colvert! Comme l’an dernier, nous avons aussi trouvé un mâle hybride Garrot à œil d’or X Garrot d’Islande. Nous n’avons pas la prétention d’avoir vu tous les canards présents sur place; des canards se cachaient sûrement dans des portions inaccessibles de la rivière ou même entre Dégelis et la frontière.


Hybride Garrot à oeil d'or X Garrot d'Islande - Dégelis - 5 février 2011
 
Bien entendu, la présence de tant d’oiseaux et d’un nombre surprenant de Pigeons bisets dans la ville ne peut faire autrement que d’attirer des prédateurs. Ainsi, durant la journée, nous avons aussi observé un Autour des palombes adulte à deux reprises et deux Pygargues à tête blanche. Paraît-il que ce dernier est un hivernant régulier à Dégelis depuis une dizaine d’années.


Bernaches du Canada - Dégelis - 5 février 2011
La présence du Garrot d’Islande hivernant régulièrement en eau douce à près de 80 km du fleuve me surprend toujours. Leur nombre n’est pas très élevé, les 14 individus observés samedi dernier constituent mon maximum pour le site, mais leur régularité est tout de même remarquable. Ces oiseaux donnent une bonne idée sur tout ce qui peut circuler dans ce secteur au moment des migrations! Vous savez peut-être déjà que la rivière Saguenay est une piste de décollage et d’arrivée pour de nombreux migrateurs se dirigeant ou provenant de l’Arctique. L’embouchure du Saguenay sur le Saint-Laurent se trouve presque en face du lac Témiscouata. Autrement dit, un oiseau arrivant de l’Arctique et atteignant le fleuve via le Saguenay n’a ensuite qu’à survoler une quarantaine de kilomètres de terre ferme avant de rencontrer le longiligne lac Témiscouata. De là, il peut suivre la rivière Madawaska qui se jette elle-même dans le fleuve Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. Et vous savez où se jette le fleuve Saint-Jean? Dans la baie de Fundy, un lieu très riche autant pour les oiseaux aquatiques que pour les passereaux!!! Je suis certain qu’un ornithologue à l’affut à Dégelis lors de certaines journées printanières ou automnales verrait passer Sternes arctiques, labbes, Mouettes de Sabine et quoi d’autre? Le même phénomène est noté depuis longtemps sur le lac Champlain au Vermont. Dommage qu’il y ait 150 km de route entre La Pocatière et Dégelis… c’est vraiment un site à faire rêver!

Harles couronnés - Dégelis - 5 février 2011