lundi 28 mars 2011

L'hiver s'accroche...

La dernière fin de semaine de mars a toujours eu une grande importance sur la manière dont j’observe les oiseaux. Est-ce à cause de l’arrivée des canards? De celle des oiseaux noirs? Non! La vraie raison est d’ordre plus « physique » : ma saison de vélo peut débuter!!! Eh oui, je suis d’abord et avant tout un ornithologue cycliste! Vous pouvez donc imaginer le plaisir que je ressens en enfourchant mon vélo pour la première fois depuis près de quatre mois et de pouvoir enfin parcourir les routes de la région, jumelles au cou. Christiane, ma compagne, n’a commencé l’ornitho-vélo qu’il y a quelques années mais est vite devenue elle aussi une vraie fanatique. Durant sa première année complète à La Pocatière, elle a parcouru plus de 2500 km à vélo!!!
Les avantages du vélo pour l’observation des oiseaux sont nombreux et bien connus : on peut se déplacer très lentement si on est en mode repérage, on peut se déplacer très rapidement si un oiseau particulier est trouvé au loin, on se déplace silencieusement en permettant à nos oreilles d’être aussi fonctionnelles que nos yeux (ce qui est extrêmement important en ornithologie!), nous ne produisons aucune pollution (et, à vélo, ce ne sont pas que des vœux pieux…) et, finalement, ça aide à garder la ligne! À partir de maintenant, mon champ d’action est multiplié par dix… les oiseaux n’ont qu’à bien se tenir!
Pour être honnête, j’ai effectué ma première petite randonnée à vélo dimanche le 20 mars, immédiatement après la séance de photographie des six Becs-croisés des sapins du message précédent. Officiellement, je n’étais sorti que pour vérifier l’état de mon vélo mais je n’ai pu me retenir d’aller assez loin pour voir mon premier Urubu à tête rouge de l’année (et mon plus hâtif à vie). Vendredi le 25 mars en après-midi, en compagnie de Christiane, la première promenade sur deux roues a donc eu lieu. Malgré les fins rideaux de neige que nous avons dû traverser, l’excursion s’est déroulée à merveille et nous avons bien senti que certains muscles au repos depuis la fin de novembre se réveillaient. Nous avons ainsi pu voir notre premier Busard Saint-Martin de l’année et un jeune Autour des palombes que des corneilles nous ont signalé à grands cris (et nous l’aurions manqué si l’excursion avait été faite en automobile). Les sizerins que nous avons vus se déplacer vers le nord-est durant toute la semaine étaient encore en évidence mais très fébriles, ne restant immobiles que quelques secondes. Pas facile de les inspecter un à un… Au retour, nous avons pu revoir nos six Becs-croisés des sapins terminant leur troisième semaine au même endroit.
Heureusement que nous avons profité du vendredi après-midi pour inaugurer la saison de vélo! Le reste de la fin de semaine s’est avéré être presqu’hivernal! Mais un -10°C et un vent du nord soufflant à 50 km/h ne pouvaient pas arrêter notre enthousiasme. Samedi matin, avant même le lever du soleil, nous voilà donc au quai de Rivière-Ouelle, partagés entre l’espoir des derniers jours de mars et le réalisme d’une température digne du mois de janvier. À vrai dire, seul l’angle du soleil nous rappellait que le mois d’avril est à nos portes. Les conditions de migration étaient donc encore une fois loin d’être optimales mais des vêtements chauds et un peu de volonté nous ont permis de rester sur place durant plus de 90 minutes.
On dit souvent qu’un des plaisirs de l’ornithologie est de ne jamais vraiment savoir ce qui nous attend. Mais, de mon côté, j’ai toujours éprouvé une grande satisfaction à pouvoir prédire quelles espèces seront vues durant une excursion en particulier. Et ce samedi 26 mars, Bernache cravant, Macreuse à bec jaune et Plongeon catmarin étaient sur ma liste d’espèces à ne pas rater. Et, malgré le froid, les trois se sont montrées… durant quelques secondes.
Voici les principales espèces vues durant la matinée :
  • 16 Bernaches cravants – en un seul groupe, volant très rapidement face au vent
  • 7 Canards noirs
  • 1 Canard colvert
  • 1 Eider à duvet
  • 10 Macreuses à bec jaune – les bien nommées, toujours la macreuse la plus nombreuse et la plus hâtive à Rivière-Ouelle au printemps
  • 4 Garrots à œil d’or – décidément, où sont-ils?
  • 46 Grands Harles
  • 1 Harle huppé
  • 1 Plongeon catmarin – c’est l’espèce que j’oserais considérer comme emblématique du quai. Elle y est tellement abondante et facile à observer comparativement à d’autres sites de la région qu'il faut être vraiment maladroit ou malchanceux pour la rater au quai entre le début d’avril et la fin de novembre!!!
Les Goélands à bec cerclé ont maintenant repris leur position de laridé le plus abondant dans la région, poste qu’ils devraient occuper jusqu’à la fin de novembre prochain.


Perdrix grises - Rivière-Ouelle - 26 mars 2011

Ailleurs à Rivière-Ouelle, nous avons encore croisé trois Perdrix grises, cette fois bien abritées du vent contre des Thuyas occidentaux. Ces belles p’tites poules ont une place particulière dans mon esprit d’ornithologue, à la fois pour leur capacité à coloniser une région au climat plutôt rigoureux et pour leur allure physique que j’ai toujours trouvée presqu’exotique!
Maintenant, si l’hiver peut lâcher prise afin que toutes ces espèces puissent se reproduire avec succès!

lundi 21 mars 2011

Six Becs-croisés des sapins



Bec-croisé des sapins mâle "gaucher"
- La Pocatière - 20 mars 2011
Le 5 mars dernier, durant notre tournée traditionnelle des mangeoires de La Pocatière, nous avons eu le plaisir de croiser un groupe de huit Becs-croisés des sapins. Depuis, certains de ces oiseaux ont été revus à quelques reprises, toujours dans le même secteur. Connaissant bien le caractère vagabond de l’espèce, à chaque fois, nous étions surpris de les retrouver aussi facilement. Samedi, en voyant de très près un jeune mâle, nous nous sommes bien jurés d’aller vérifier dimanche matin si certains oiseaux n’accepteraient pas de se laisser photographier. Nous voilà donc dimanche matin, au retour d’une promenade de 10 kilomètres sur les battures. Tout juste le temps de remplacer nos vêtements d’hiver par des tenues plus printanières (il faisait tout de même -10°C au départ à 6 h 15!) et nous voilà en route pour vérifier si le jeune mâle ne serait pas encore sur place. Oui, il y était! Et accompagné de cinq autres congénères!

Bec-croisé des sapins mâle "droitier" - La Pocatière - 20 mars 2011
Posés à la hauteur des yeux dans des pins ornementaux, nous avons eu droit à nos meilleurs coups d’œil sur l’espèce depuis plusieurs années! Trois mâles adultes, deux femelles et un jeune mâle se sont souvent laissés approcher à moins de deux mètres. C’est toujours impressionnant de voir ces oiseaux manipuler les cônes de pins avec autant d’efficacité. De vrais perroquets!
 

Bec-croisé de sapins avec un cône de pin - La Pocatière - 20 mars 2011
Régulièrement, un des oiseaux réussissait à décrocher un cône, s’envolait ensuite pour aller le décortiquer sur une branche de feuillus qui offrait sans doute une meilleure prise. On peut à peine imaginer la force latérale nécessaire à la mâchoire de ces oiseaux d’à peine 35 grammes pour leur permettre d’ouvrir des cônes de pins! Une description détaillée de la méthode utilisée par les becs-croisés peut être trouvée sur ce lien. La température printanière faisait elle aussi son effet : durant notre séance d’observation, nous avons entendu des cônes « craquer » à plusieurs reprises, s’ouvrant d’eux-mêmes pour libérer leurs graines. Mais est-ce que les becs-croisés auront le réflexe d’aller les chercher au sol?



Bec-croisé des sapins femelle - La Pocatière - 20 mars 2011
On sait tous qu’il existe probablement plus d’une espèce dans l’entité nord-américaine appelée Bec-croisé des sapins. La plupart de ces futures espèces ne pourront probablement jamais être distinguées physiquement. Nous n’aurons donc le choix que de nous fier au cri pour les identifier. Si vous voulez essayer de saisir les fines nuances entre les cris des différents types de Becs-croisés des sapins, voici un lien vers un site de l’American Museum of Natural History.

Pour ma part, comme la très grande majorité des chants et cris d’oiseaux que je connais, j’attenderai de les apprendre sur le terrain…
Bec-croisé des sapins mâle - La Pocatière - 20 mars 2011


Bec-croisé des sapins mâle immature - La Pocatière - 20 mars 2011
Si vous souhaitez pousser plus loin, voici cette fois un lien vers le site de Craig W. Benkman, un des spécialistes nord-américains des becs-croisés.

lundi 14 mars 2011

Cette fois, c'est parti!

Avec le fleuve souvent couvert de glace de la fin de décembre à la fin de mars, l’arrivée des premiers canards a longtemps été pour moi le premier vrai signe du printemps. Ces dernières années, le réchauffement climatique a considérablement raccourci la période où la glace domine et certains canards sont maintenant vus irrégulièrement ici durant la saison froide. Mais le plaisir de voir les premiers canards se déplacer le long des berges du Saint-Laurent reste toujours le même!
Déjà, vendredi matin en arrivant au travail, le trou d’une marmotte fraîchement déneigé durant la nuit égalisait mon record pour la marmotte printanière la plus hâtive! Elle a tout de même dû se creuser un passage dans les 50 centimètres de neige tombés lundi dernier avant de prendre sa première marche en plein air depuis quelques mois.
C’est finalement samedi que notre premier Merle d’Amérique considéré comme migrateur a fait son apparition. Avec le peu de fruits disponibles l’hiver dernier, les chances que cet oiseau ait hiverné localement sont pratiquement nulles!
Avec les vents à écorner les alouettes qui ont soufflé durant la nuit de samedi à dimanche (jusqu’à 75km/h localement), faire une sortie au quai de Rivière-Ouelle dimanche matin pouvait sembler un choix douteux. Mais les vents soufflaient du sud-ouest et c’est justement de ce côté que proviennent les oiseaux que nous attendons. De plus, contrairement au vent du nord-ouest qui pousse les glaces vers la rive sud du fleuve, le vent du sud-ouest tend à dégager le rivage et à faire dériver les glaces vers le large. Avant le lever du soleil, nous étions déjà sur place, bien emmitouflés et avec des espoirs tout de même réalistes à cette date relativement hâtive.
En 2 h 15 d’observation, voici la liste des canards observés à Rivière-Ouelle, un total et une diversité somme toute appréciables pour la date :
  • 12 Canards noirs
  • 11 Fuligules milouinans – ils arrivaient de l’est et font probablement partie des individus hivernant de plus en plus régulièrement dans l’estuaire.
  • 1 Eider à duvet – le premier canard repéré en sortant de la voiture, un mâle qui descend rapidement le fleuve! Il s’agit d’une date plutôt hâtive pour l’eider dans la région. Ce canard de mer hiverne en bons nombres sur les côtes du golfe Saint-Laurent mais seulement en petite quantité dans l’estuaire. Avec les vents du sud-ouest qui soufflaient dimanche matin, il est tentant de croire que cet oiseau a plutôt atteint Rivière-Ouelle après un vol au-dessus des terres depuis l’Atlantique comme l’espèce fait régulièrement au printemps.
  • 1 Harelde kakawi
  • 6 Garrots à œil d’or – seulement!?!
  • 42 Grands Harles – la seule espèce de canard qui hiverne, en petit nombre, à Rivière-Ouelle. Ces 42 individus comptaient bien entendu plusieurs nouveaux venus.
  • 7 Harles huppés
Il y a 25 ans, ces canards, à l’exception du Garrot à œil d’or et du Grand Harle, n’arrivaient pas dans la région avant les tous derniers jours de mars! Et plusieurs de ces espèces s’étaient présentées ici à la même date l’an dernier! Peut-on encore blâmer le réchauffement planétaire?…
Fidèles à leur habitude, plusieurs goélands se déplaçaient face au vent et remontaient donc le fleuve vers Québec. Les Goélands arctiques étaient les plus nombreux, suivis des G. argentés et des G. marins. En scrutant les goélands un à un, Christiane a réussit à trouver nos cinq premiers Goélands à bec cerclé de l’année. Vers 9 h 00, les vents ont faibli (enfin!) pour virer finalement au nord. Les oiseaux ont cessé leurs déplacements et, bien sûr, les glaces ont commencé à se rapprocher.
Perdrix grises - Rivière-Ouelle - 13 mars 2011
Sur le chemin du retour, nous avons pu remarquer que les passereaux également ont migré ces derniers jours. Les corneilles se risquaient même à traverser le fleuve à partir du quai, en route vers Charlevoix dont le point le plus près se trouve tout de même à plus de 14 km. Des Alouettes hausse-col levaient régulièrement de la route devant l’auto, certaines accompagnées de Plectrophanes lapons. En plein milieu de l’avant-midi, tout juste à l’extérieur du village de Rivière-Ouelle, une Perdrix grise s’est envolée du milieu de la route à notre grande surprise. Quelques kilomètres plus loin, ce sont six autres perdrix qui lèvent de la cour d’une ferme. Christiane n’a le temps de prendre qu’une photo souvenir avant que ces petites poules ne disparaissent rapidement pour se cacher au pied de grands peupliers.
Cette fois, c’est vrai, le printemps est bel et bien arrivé!!!

lundi 7 mars 2011

Il était une fois... un Pluvier grand-gravelot

Il est des observations faites au fil des années qui marquent définitivement un observateur. Je vais profiter de cette fin de semaine pluvieuse, neigeuse et, finalement, « ennuyeuse » pour vous raconter une de ces rencontres marquantes, tirée et adaptée de mes archives.
Rapportons-nous donc au 7 juillet 2000. En soirée, la marée haute, les vents légers et le ciel presque totalement dégagé rendent optimales les conditions d’observation aux Escoumins, sur la Haute-Côte-Nord. Comme à chaque soir, Christiane et moi allons à la pointe de la croix pour y observer les oiseaux. La pointe de la croix est un petit îlot rocheux situé face au village et relié à la terre ferme par une route de gravier. Ce site offre une bonne vue d’ensemble sur les baies situées de chaque côté de la route d’accès où de nombreux goélands et canards se nourrissent et se reposent.
Au bout de quelques minutes, je laisse Christiane seule avec les deux téléscopes afin d’essayer de photographier le premier Courlis corlieu de l’automne, qui vient de se poser au bout de la pointe. Après quelques pas, je repère deux Pluviers semipalmés posés un peu plus loin; je les pointe à Christiane et je continue mon chemin. Tout à coup, j’entends le sifflement d’un oiseau de rivage; je regarde autour et au-dessus de moi, mais je ne vois rien qui aurait pu émettre ce cri. Je fais quelques pas de plus et me voilà à quatre mètres des deux pluviers posés sur les rochers. Je remarque instantanément qu’un des oiseaux semble avoir la bande pectorale particulièrement large. À ce moment, sans raison, les deux pluviers s’envolent en criant. Un des oiseaux émet le cri typique du Pluvier semipalmé, mais l’autre lance le curieux sifflement entendu plus tôt! Je me retourne vers Christiane en lui pointant les deux pluviers du doigt afin qu’elle les suive au téléscope. Je m’apprête à continuer mon chemin lorsque je fige littéralement sur place: je viens de réaliser ce que j’ai vu!!! Je reviens alors TRÈS rapidement vers Christiane et, avant même d’être près d’elle, je lui crie : « Est-ce que c’était un Pluvier grand-gravelot? » Christiane hausse les épaules en m’indiquant que les oiseaux se sont probablement posés sur la plage en bordure de la route d’accès. Nous nous y rendons rapidement, tellement que nous faisons envoler les pluviers avant même de les avoir repérés! Heureusement, ils retournent sur l’îlot et un des oiseaux lance encore cet étrange sifflement.



Une femelle de Pluvier semipalmé avec, à doite, le Pluvier grand-gravelot - Les Escoumins -
7 juillet 2000
 
Je retourne donc sur l’îlot en espérant photographier les pluviers. Christiane reste au loin et suit la scène au téléscope. Les pluviers sont faciles à approcher et un des individus est nettement une femelle adulte de Pluvier semipalmé. Le deuxième oiseau, avec sa large bande pectorale et ses marques faciales noires, est visiblement notre oiseau, un mâle adulte en plumage nuptial. Je me concentre sur lui et prends quelques clichés avant que les oiseaux, rendus nerveux par les cris incessants d’un couple de Pluviers kildirs nicheur, ne s’envolent à nouveau. En le suivant en vol, je me rends bien compte que le sifflement, émis encore une fois, vient vraiment de l’oiseau mâle. Après que j’aie rejoint Christiane, elle me montre les pluviers en contrebas des rochers, sur la plage. Elle m’annonce fièrement que notre oiseau n’a pas de palmure entre les doigts interne et médian! Il s’agit donc bel et bien d’un Pluvier grand-gravelot!!!
Dérangés par les promeneurs curieux et surpris par notre enthousiasme, les deux pluviers s’envolent encore une fois et vont rejoindre un autre Pluvier semipalmé plus loin sur la plage. Nous les suivons et d’autres photographies sont prises. Nous savourons aussi notre oiseau-vedette et l’observons en détail. Le Pluvier grand-gravelot est donc observé durant 75 minutes, souvent à moins de 4 mètres. Durant les jours suivants, malgré de longues recherches, le pluvier ne fut pas revu.


La première photo du Pluvier grand-gravelot... et j'en ai pris 22 autres! - Les Escoumins - 7 juillet 2000

Le Pluvier grand-gravelot aurait très bien pu (j’ai même envie de dire « dû ») passer pour un Pluvier semipalmé. Voici les quelques caractéristiques différenciant le Pluvier grand-gravelot du Pluvier semipalmé telles que notées sur le terrain :
  • Un large sourcil blanc s’étirait du dessus de l’œil jusqu’à la limite arrière du masque, un trait jamais aussi évident chez le P. semipalmé.
  • Aucun cercle oculaire n’était visible alors que le P. semipalmé en porte un, très mince et de couleur jaunâtre, qui aurait été facilement visible, surtout à cette distance.
  • Le noir des auriculaires s’étend jusqu’au bec à la hauteur des commissures. Chez le P. semipalmé, cette jonction se fait plus haut, au niveau de la maxille.
  • Le bec est nettement plus long et plus mince que celui du P. semipalmé (du moins, au deuxième coup d’œil!).
  • La bande pectorale, la différence la plus notable, est restée très large durant toute la durée de l’observation. C’était particulièrement évident sur les côtés de la poitrine où la bande pectorale prenait souvent l’allure d’une bavette! Cette caractéristique est cependant très variable chez les deux espèces, la largeur peut changer selon la position d’un oiseau. Mais s’il ne s’agit pas d’un critère garantissant hors de tout doute que l’on est en présence d’un Pluvier grand-gravelot, il peut cependant aider à juger si ça vaut la peine de pousser plus avant l’étude d’un oiseau en particulier!
  • L’absence de palmure entre les doigts médian et interne a été notée à plusieurs reprises. La courte palmure présente entre les doigts médian et externe a aussi été bien vue, tout comme celles présentes entre les trois doigts chez le Pluvier semipalmé voisin. Ce critère sans équivoque a longtemps été qualifié d’impossible à utiliser sur le terrain (même dans le Sibley qui ne date que de l’an 2000!). Pour notre part, nous avons été surpris de la facilité avec laquelle ces palmures ont pu être observées. C’était peut-être dû aux excellentes conditions d’observation : courte distance, soleil derrière nous, oiseaux souvent observés depuis le haut du talus de la route, oiseaux présents sur une plage de galets. Il est certain qu’un oiseau présent sur des battures boueuses aurait donné plus de fil à retordre. Mais les Pluviers semipalmés (et les grands-gravelots perdus qui les suivent peut-être!) se reposent souvent dans la partie supérieure des plages ou sur des rochers. De bien beaux sujets d’étude!

Pluvier grand-gravelot - l'absence de palmure entre les doigts interne et médian est bien visible sur cette photo! - Les Escoumins - 7 juillet 2000

  • Et le cri! Ce critère sans lequel nous n’aurions probablement jamais osé identifier (et n’aurions sans doute même pas remarqué) notre pluvier! Il est certain que je l’avais déjà en tête au moment de la rencontre fatidique mais je dois avouer qu’il n’était pas sur le dessus de la pile! De là ma fraction de seconde avant d’allumer! Le Pluvier grand-gravelot a donc lancé à plusieurs reprises un « tou-li » sifflé très différent du « tchou-wi » bien connu du Pluvier semipalmé. Nous y avons trouvé une certaine ressemblance avec le cri du Pluvier argenté, la puissance en moins. Le cri était surtout émis en vol. De retour à la maison, l’audition du cri du Pluvier grand-gravelot sur le CD de Jean C. Roché (Birds Songs and Calls of Britain and Europe vol. 2) est venue enlever les derniers doutes.
La présence de cet oiseau dans le sud du Québec un 7 juillet est plutôt surprenante. Les premiers Pluviers semipalmés migrateurs, qui nichent pourtant aussi près de nous que la baie James et la Basse-Côte-Nord, arrivent le long du Saint-Laurent vers la mi-juillet. Il est probable que notre pluvier ne se soit jamais rendu jusqu’à son aire de nidification. Le Pluvier grand-gravelot niche depuis les îles du nord-est de l’Arctique canadien (Ellesmere, Bylot, Baffin), le Groenland et l’Islande jusqu’à travers tout le nord de l’Eurasie et, rarement, l’extrême ouest de l’Alaska. Les oiseaux nichant au Canada migrent au-dessus de l’Atlantique Nord pour hiverner en Afrique de l’Ouest. Au moment de notre observation, il n’existait que très peu de mentions en Amérique du Nord en dehors de son aire de nidification. Seules quelques-unes dans l’est du continent (dispersées entre Terre-Neuve et le Rhode Island) semblaient adéquatement documentées. Mais, depuis, quelques oiseaux ont été photographiés à Terre-Neuve, dont quatre en août et septembre 2006, et un dans le Maine. Pour le Québec, notre oiseau ne représentait que la deuxième mention, après un individu observé à Cacouna les 27-28 juillet 1989. On se souvient tous de la troisième mention, un oiseau observé par plusieurs à Baie-du-Febvre du 25 au 28 mai 2002; il s’agit probablement de la seule mention printanière en Amérique en dehors de son aire de nidification! Et cet oiseau avait de toute évidence hiverné sur le Nouveau Continent!



Pluvier grand-gravelot - le bec plutôt mince, le grand sourcil blanc, le noir atteignant les commissures, l'absence de cercle oculaire jaune et la très large bande pectorale sont très évidents - Les Escoumins -
7 juillet 2000
  Le Pluvier grand-gravelot reste un oiseau très difficile à reconnaître visuellement sur le terrain. Les critères d’identification publiés récemment (longueur du sourcil blanc, absence de cercle oculaire, bas du lore noir atteignant le bec à la hauteur de la commissure, etc.) sont souvent plus des indices que des preuves de l’identité de l’oiseau. Aucun ne semble infaillible et il existe une telle zone de chevauchement avec le Pluvier semipalmé que le cri et la présence ou non de palmure sont encore et toujours indispensables à l’identification. Mais on peut affirmer sans crainte que quelques oiseaux traversent le Québec habité à chaque migration. Ils peuvent aussi bien apparaître ici, à La Pocatière, que chez vous. Il ne nous reste qu’à être prêt à les reconnaître…