Lorsque j’étais enfant, c’est surtout aux mammifères que
je m’intéressais. Je fouillais dans les livres à la recherche d’informations,
en particulier sur ceux qui portaient le titre de « le plus… »,
c’est-à-dire le plus gros, le plus rapide, le plus rare,
etc. J’avais un intérêt particulier pour le titre de « le plus
rare » et j’avais monté une longue liste des espèces de mammifères menacés
d’extinction à partir de données ramassées un peu partout. C’est probablement
en cherchant ces informations que j’ai remarqué la Tourte voyageuse pour la
première fois. Ayant été à une époque l’espèce d’oiseau la plus
abondante au monde (wow! quel beau titre!!!), j’avais été fasciné par le fait
de savoir à quel moment exact l’espèce s’est éteinte. J’avais trouvé cette
information dans le livre Les oiseaux de la collection Le monde
vivant des éditions Time Life. Ce livre avait été écrit par un certain
Roger Tory Peterson, un ornithologue dont le nom allait devenir plus familier
pour moi quelques années plus tard. Dans les dernières pages de ce volume
apparaissait une photo du spécimen naturalisé de Martha, le dernier « Pigeon
migrateur » (c’est ainsi que le traducteur avait nommé la tourte) avec un
écriteau indiquant même qu’elle était morte à 13 h 00 heure locale.
C’était parfait pour quelqu’un qui, comme moi, aime la précision! J’avais alors
pris la décision qu’un jour, j’irais voir Martha au musée de la Smithsonian
Institution!
À partir de ce moment, qui coincide pour moi au début d’un
intérêt plus marqué pour les oiseaux, j’ai commencé à lire tout ce que je
pouvais trouver sur les tourtes (ce qui m’a d’ailleurs permis d’apprendre le
vrai nom de l’espèce). J’ai tellement lu et relu les textes présents dans les
livres et encyclopédies à la maison que j’ai fini par les connaître par cœur et
mon cerveau d’enfant faisait le reste. Ainsi, lorsque je voyais passer un « mariage
d’oiseaux », j’imaginais la méga-noce que devait constituer la volée de
3,5 milliards de tourtes mentionnée dans les livres! Je regardais même les
vieux Pins blancs de plus de 120 ans présents à La Pocatière en me disant
qu’ils avaient peut-être déjà servi de perchoirs aux dernières tourtes!
La photo de Martha, la dernière Tourte voyageuse (Passenger Pigeon – Ectopistes migratorius) qui m'a tant marqué, telle qu'elle apparaissait dans le volume Les oiseaux |
À l’été 1978, après avoir vu des publicités mentionnant
qu’une grande collection d’oiseaux naturalisés s’y trouvait, je suis allé
visiter le Musée François-Pilote ouvert à La Pocatière quelques années
plus tôt. À l’époque, une grande partie des collections de ce musée
d’ethnologie provenait de l’ancien musée du Collège de Sainte-Anne, fondé en
1929 par nul autre que l’abbé René Tanguay. En entrant dans la grande salle du
musée dédiée aux oiseaux, je me souviens avoir été impressionné par les
différents montages mettant en vedette près de 800 spécimens capturés,
achetés ou échangés au fil des ans par l’abbé Tanguay. Les yeux grand ouverts,
je m’arrêtais devant chaque vitrine mettant en vedette les oiseaux dans une
reconstitution (souvent minimaliste, mais l’effort y était!) de leur habitat.
Il y avait même un montage regroupant les gallinacés (gélinotte, tétras,
lagopède, etc) réalisé par Charles-Eusèbe Dionne!!! En faisant le tour de la
salle, j’ai remarqué un petit meuble placé au centre avec un spécimen seul sous
une cloche de verre. Je me suis approché pour voir qui pouvait bien mériter cet
emplacement spécial… c’était une Tourte voyageuse!!!!! Pas une femelle avec des
plumes manquantes à la queue comme la célèbre Martha, mais bien un mâle en
parfait état!!! J’avais peine à croire qu’il y avait un mâle de Tourte
voyageuse à moins de 400 mètres de la maison où je vivais à l’époque! Je
me souviens encore très bien du choc que j’ai ressenti à ce moment. J’ai examiné
ce spécimen plume par plume en imaginant l’immense colonie où il est peut-être
né (la plus grande colonie rapportée, au Wisconsin, se serait étendue sur
2200 km²; en comparaison, une parcelle de l’atlas des oiseaux nicheurs
couvre 100 km²!) ou faisant partie d’une bande de millions d’individus
errants à la recherche de nourriture. Depuis, à chaque fois que je m’arrête au
Musée François-Pilote, je ne peux m’empêcher de penser à ces mêmes scénarios en
admirant la tourte.
Récemment, je me suis rendu au Musée François-Pilote afin
de prendre quelques photos de la tourte. Surprise à mon arrivée : le
spécimen avait été prêté au Musée régional de Kamouraska pour une période
indéterminée! Qu’à cela ne tienne, j’ai trouvé un trou dans mon horaire et je
me suis rendu à Kamouraska pour revoir (et photographier) cette chère vedette.
Sur place, j’ai eu gentiment droit à une séance de photos seul avec la tourte
que je voyais pour la première fois sans sa cloche de verre (et, oui, j’ai osé
la toucher!). Plus tard, une petite recherche aux archives de la Société
historique de la Côte-du-Sud m’a permis d’apprendre que ce magnifique spécimen
provenait du Séminaire de Sherbrooke et avait été acheté par l’abbé Tanguay.
Tourte voyageuse (Passenger Pigeon – Ectopistes
migratorius) Musée régional de Kamouraska – 1er août 2014 © Claude Auchu |
Tourte voyageuse (Passenger Pigeon – Ectopistes migratorius) Musée régional de Kamouraska – 1er août 2014 © Claude Auchu |
Tourte voyageuse (Passenger Pigeon – Ectopistes migratorius) Musée régional de Kamouraska – 1er août 2014 © Claude Auchu |
Le 12 décembre 1978, je mentionnais déjà à mes amis du
secondaire III que le dernier Eider du Labrador connu avait été abattu
exactement cent ans plus tôt jour pour jour, selon Les oiseaux du Canada
de W. E. Godfrey. Mais, en ce 1er septembre 2014, toutes mes
pensées vont vers la Tourte voyageuse, cette espèce qui est passée en quelques
années seulement d’oiseau le plus abondant au monde à un simple souvenir.
Vraiment, la Tourte voyageuse est et demeurera l’espèce
d’oiseau qui m’aura le plus marqué!