jeudi 25 août 2011

Il était une fois… des Bruants de Nelson

Quelle est l’espèce d’oiseau qui représente le mieux La Pocatière aux yeux des ornithologues de passage dans la région? Peut-être le Harfang des neiges, qui est si visible le long de l’autoroute certains hivers? Ou encore l’Hirondelle noire, même si elle ne niche plus ici depuis près de 20 ans? À mon avis, il pourrait aussi bien s’agir du Bruant de Nelson! C’est un petit oiseau furtif, mais qui est probablement plus facile à observer à La Pocatière que n’importe où ailleurs au Québec! Les premiers spécimens capturés dans la province l’ont d’ailleurs été tout près d’ici, à Saint-Denis, en 1877 par nul autre que Charles-Eusèbe Dionne, un pionnier de l’ornithologie québécoise (et je crois bien savoir où!). À La Pocatière, il est souvent possible d’entendre et de voir notre petite vedette à moins de 15 mètres des tables de pique-nique de la Maison du Tourisme, située à la sortie 439 de l’autoroute 20! Qui dit mieux? Je suis certain que plusieurs birders du Québec se souviennent d’avoir coché leur premier Bruant de Nelson à La Pocatière! À moins qu’ils aient coché le Bruant à queue aiguë?…
C’est au milieu des années 1990 que le Bruant de Nelson est apparu sur nos listes, lorsque le Bruant à queue aiguë fut séparé en deux espèces. Les deux sous-espèces nichant sur la côte est américaine gardèrent le nom de Bruant à queue aiguë alors que les trois sous-espèces nichant au Canada sont devenues le Bruant de Nelson. La sous-espèce subvirgatus, celle qui niche à La Pocatière, se reproduit dans les marais herbeux du fleuve et du golfe Saint-Laurent ainsi que le long de la côte atlantique jusqu’au sud du Maine. À cet endroit, il partage les marais avec le «vrai» Bruant à queue aiguë avec lequel il s’hybride parfois.
Au printemps, le Bruant de Nelson arrive sur ses territoires de nidification assez tardivement et, pour moi, l’observation du premier oiseau est le signe que la migration printanière est bel et bien terminée. Ma mention la plus hâtive de l’espèce est le 25 mai 1995 alors que j’ai entendu un oiseau chanter en début de nuit. Ce soir-là, j’étais sur les battures pour confirmer la présence d’un Râle jaune que j’avais entendu en après-midi… et j’en ai profité pour trouver également un Bruant de Le Conte! Il arrive régulièrement que ces trois espèces partagent un même marais.
Dans les marais à spartines de La Pocatière, le Bruant de Nelson peut être présent en nombre surprenant. Le 29 juin 2004, Christiane a réussi à compter 37 mâles chanteurs sur cinq kilomètres de battures! Les mâles continuent à chanter jusqu’au 20 août et on dirait même que c’est entre la fin de juillet et le début d’août qu’ils sont les plus nombreux à chanter. À ce moment, ils sont faciles à trouver, perchés sur une touffe d’herbes ou sur un bout de bois amené par la marée. Bien sûr, c’est surtout tôt le matin ou en soirée que les chances de l’entendre sont les meilleures; on le voit même parfois exécuter son chant aérien alors qu’il monte jusqu’à une dizaine de mètres avant de se laisser retomber au sol en lançant sa note caractéristique. On peut apercevoir des mâles chanteurs jusqu’à la partie la plus haute des battures, tout près des aboitaux qui servent maintenant de piste cyclable. Les femelles sont nettement plus furtives, surtout durant la saison de nidification, et se déplacent parmi les herbes comme des souris. D’ailleurs, les mâles ne prennent part d’aucune façon aux différentes étapes de la nidification.
Le Bruant de Nelson est beaucoup plus discret en automne. Les chances de le trouver augmentent nettement en concentrant nos recherches dans les hautes herbes situées près de l’eau. Pour une fois, les bosquets de Roseaux communs (ou phragmites) qui ont envahis les battures depuis 15 ans présentent un avantage: les bruants aiment bien s’y cacher et il peut être possible de trouver les oiseaux en petits groupes! C’est aussi à cet époque que l’on a la chance d’observer des individus en plumage juvénile. Les jeunes oiseaux semblent muer avant de quitter les sites de nidification, vous n’aurez donc pas le choix de nous visiter si vous voulez voir ces curieux petits oiseaux presque orangés! À La Pocatière, j’ai observé ce plumage du début août jusqu’à la fin de septembre. Les jeunes semblent moins timides que les adultes et réagissent plutôt bien au «pishing» en s’approchant avec curiosité.
Comme très peu de photos de juvéniles semblent avoir été publiées, nous nous sommes amusés à en prendre quelques-unes d’un des quatres juvéniles vus le 5 août dernier. Les photos qui suivent montrent bien que le Bruant de Nelson juvénile ne ressemble à aucun autre oiseau. La couleur dominante de l’oiseau est roussâtre et, contrairement à l’adulte, la rayure du centre de la calotte du juvénile est fauve et non grise. La zone auriculaire est bordée d’une ligne brunâtre.

Bruant de Nelson juvénile – La Pocatière – 5 août 2011 © Claude Auchu
Dans un article publié dans le magazine Birding en 1996 (vol. 28 no. 3), David Sibley mentionne que le juvénile de la sous-espèce subvirgatus, celle qui niche à La Pocatière, n’a aucune rayure sur la poitrine ou sur les parties inférieures (la sous-espèce nelsoni des Prairies en porte sur les côtés de la poitrine et on peut croire que, comme les adultes, les juvéniles de la race de la baie James alterus sont intermédiaires entre les deux). Nos photos montrent pourtant de fines rayures, surtout rassemblées sur les côtés de la poitrine, mais s’étendant jusqu’aux flancs arrières.

Bruant de Nelson juvénile – La Pocatière – 5 août 2011 © Claude Auchu
À l’automne 2003, Christiane et moi avons été témoin d’une migration particulièrement intense de Bruants de Nelson. Le 28 septembre, nous avions vu pas moins de 19 individus, dont certains portaient des caractères pointant vers la sous-espèce alterus (rayures blanches sur le dos, dessin orangé très net à la tête, rayures de la poitrine et des flancs plus intenses et plus nettes que chez les autres «Nelson» présents). Se pourrait-il que des oiseaux provenant de la baie James, en route vers leurs territoires d’hivernage du sud de la côte atlantique américaine, transitent par les marais saumâtres du Bas-Saint-Laurent? La réponse nous est venue la semaine suivante: le 2 octobre, nous avons trouvé un Bruant de Le Conte dans un autre groupe de Bruants de Nelson! À  mon avis, c’est le meilleur signe que ces oiseaux provenaient bel et bien de la baie James…! Dans son article dans Birding, Sibley mentionne pourtant que les alterus sont peu abondants (scarce) au nord du New Jersey en migration automnale. Les quelques Bruants de Nelson notés ces dernières années en Outaouais et dans la vallée du Richelieu concernaient sûrement aussi des alterus. De toute évidence, il reste encore beaucoup à apprendre sur l’apparence et les déplacements de ces oiseaux discrets. En attendant, sachez que les Bruants de Nelson sont présents dans les marais à spartines de La Pocatière jusqu’à la fin d’octobre certaines années. J’y ai vu mon plus tardif le 13 novembre 1994.

Bruant de Nelson juvénile – La Pocatière – 5 août 2011 © Claude Auchu
Au début de ce message, je vous mentionnais que le Bruant de Nelson est né de la séparation du Bruant à queue aiguë en deux espèces. Un des articles qui a conduit à cette division avait été publié dans le magazine The Auk en 1993. Par le plus pur des hasards, j’ai eu la chance de croiser un des auteurs de l’article, James D. Rising, le 29 juin 1989 alors qu’il terminait de récolter des spécimens du futur Bruant de Nelson à La Pocatière! Rising est un des plus grands spécialistes nord-américains des bruants. En 1989, je connaissais son nom surtout parce qu’il est le principal auteur des articles sur les bruants dans le premier Atlas des oiseaux nicheurs de l’Ontario, un ouvrage que je consultais souvent à l’époque. Cette journée-là, il avait capturé 15 bruants, mais aucune femelle (un signe de la discrétion des femelles au moment de la nidification)! J’avais été particulièrement impressionné par la rapidité avec laquelle il disséquait un bruant pour n’en conserver que les parties importantes pour son étude.
Pour terminer, je m’en voudrais de ne pas mentionner que trois bruants du genre Ammodramus, les plus secrets des bruants, font partie de la liste des oiseaux vus à La Pocatière: le Bruant de Nelson, le Bruant de Le Conte et… le Bruant sauterelle!!! En effet, j’ai réussi à trouver un mâle chanteur du rare Bruant sauterelle ici même les 25 et 26 juin 2005! Et maintenant, quel sera le prochain? Le Bruant de Henslow? Ou le Bruant maritime?? À moins que ce ne soit le Bruant de Baird ???