mardi 28 mai 2013

Un labbe, puis un autre, et une autre, et...

Pour moi, la dernière fin de semaine du mois de mai est depuis toujours la plus agréable de l’année pour observer les oiseaux. En plus d’offrir un maximum d’espèces à voir, elle est la dernière avant la mi-septembre où nous pouvons nous promener en forêt sans être escortés par une armée d’insectes affamés (ce qui, à mon avis, n’est pas à négliger). Nous aurions bien aimé profiter de conditions aussi belles que celles de l’année dernière mais, comme bien d’autres observateurs d’oiseaux au Québec, nous avons eu à affronter du froid, de la pluie et des vents à écorner les alouettes!

Les météorologues prévoyaient que la « moins pire » des journées de la fin de semaine allait être tour à tour samedi ou dimanche, sans qu’un concensus ne se dégage vraiment. Nous avons donc pris nous-mêmes la décision et c’est samedi qu’allait avoir lieu notre sortie à Rivière-Ouelle. La marée était haute (très haute même!) à 4 h 13 et allait atteindre son point le plus bas à 10 h 50, exactement au moment où nous allions commencer à inspecter les rivages à la recherche de limicoles et de canards barbotteurs. Ne souhaitant pas avoir à scruter des battures immenses pour y trouver des oiseaux déjà trop loin pour être identifiés, nous avons adapté notre programme en conséquence. Nous avons donc débuté la matinée avec une rapide promenade le long du rivage en longeant un boisé, ce qui ne nous a cependant pas fourni les limicoles souhaités. En plus, avec un petit 7°C et un bon vent du nord-est, les passereaux étaient particulièrement silencieux!
Cette petite parenthèse refermée, c’est vers 6 h 30 que nous avons atteint le quai. À première vue, tout y semblait très calme, aucun oiseau, pas même un simple goéland, ne se déplaçait devant le quai. C'est en jetant un coup d'oeil au large que nous avons compris que c’était là que les oiseaux se déplaçaient. Et ils étaient plutôt nombreux à le faire! Le vent, bien qu’encore supportable à ce moment, nous a une fois de plus contraint à nous abriter afin de pouvoir identifier plus facilement ces oiseaux distants, surtout que la visibilité était tout juste bonne. Une fois bien installés, le travail sérieux a pu débuter!
En scrutant attentivement tout ce qui circulait au large, il est rapidement devenu évident que les labbes allaient voler la vedette! Il était déjà pratiquement impossible de regarder à l’horizon sans en avoir un dans le champ de vision de nos télescopes! Tout comme les nombreux goélands, les labbes volaient lentement face au vent du nord-est à quelques centaines de mètres au large du quai. Certains se laissaient parfois déporter vers l’arrière, le temps de parfois cueillir une proie à l’eau, pour ensuite revenir vers l’avant, ce qui augmentait le risque de les compter à deux reprises. Nous avons donc décidé de compter tous les labbes, peu importe la direction de leur vol, et d’attendre la fin de l’excursion pour ajuster les chiffres en conséquence. Pendant que Christiane tenait le compte à jour, je suivais régulièrement certains individus afin de m’assurer qu’ils poursuivaient bel et bien leur route vers le nord-est. Et il en passait encore et encore…
Régulier depuis notre arrivée, le déplacement des labbes s’est accéléré vers 9 h 15 lorsque le vent a pris encore plus de vigueur et, seulement dans les 30 dernières minutes d’observation, ce sont pas moins de 67 Labbes parasites qui se sont tous dirigés sans exception vers le nord-est dans un mouvement constant et sans pause, en volant à l’intérieur d’un couloir relativement étroit! À 10 h 15, lorsque nous avons quitté le quai, nous étions rendus au nombre effarant de 142 Labbes parasites (et le mouvement continuait)!!! Nous nous sommes entendus pour inscrire 125 oiseaux sur notre feuillet d’observations quotidiennes, un nombre qui demeure très conservateur. Vraiment impressionnant!!!
Comme si ce n’était pas assez, le Labbe à longue queue s’est mêlé à la fête! Pas un, mais deux adultes différents ont été vus à une heure d’intervalle se dirigeant vers le nord-est parmi les Labbes parasites!!! Le premier individu en particulier, qui avançait lui aussi lentement face au vent, a eu le temps d’être très bien étudié. Déjà, au moment où je l’ai repéré, ce petit labbe qui poursuivait sans conviction une Mouette tridactyle m’est apparu suspect, entre autres parce qu’il était lui-même talonné par une autre Mouette tridactyle! Si j’ai vu à plusieurs reprises des Goélands argentés poursuivrent des Labbes parasites, je n’ai jamais vu de Mouette tridactyle ayant même simplement l’idée de poursuivre un labbe! Par la suite, les différentes caractéristiques de l’espèce ont été notées et nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion de le comparer directement avec des Labbes parasites. Avec la présence du Labbe parasite à Rivière-Ouelle à la fin du printemps connue depuis maintenant trente ans, il était certain que le Labbe à longue queue allait y être observé un jour. Surtout que cette espèce est bien connue pour ses migrations printanières au-dessus des terres qui ont permis son observation autant à Gatineau qu’à Montréal ainsi qu’à Québec et même au Saguenay (c’est d’ailleurs Christiane qui y avait repéré les deux premiers, à Saint-Fulgence le 3 juin 1988!).
S’il est certain que les vents forts du nord-est sont la cause directe de la présence de tous ces labbes à Rivière-Ouelle samedi matin, on peut cependant se demander d’où venaient ces oiseaux. Pouvaient-ils tous provenir de la région de Tadoussac où de bons nombres sont observés ces jours-ci? Mais si les labbes sont relativement communs dans ce secteur, on sait tout de même qu’ils ne sont pas des milliers! Alors, avec plus de 125 oiseaux à un même endroit (ce qui, à ma connaissance, n’a jamais été atteint nulle part ailleurs dans le sud du Québec), se pourrait-il que les oiseaux vus à Rivière-Ouelle aient plutôt été interceptés par les vents et la pluie alors qu’ils se déplaçaient au-dessus des terres entre l’Atlantique et leurs sites de nidification du Grand Nord??? Je crois que c’est ce qui est arrivé! J’ai nettement l’impression qu’un très grand nombre de labbes se déplaçaient à haute altitude au-dessus des terres et que le mélange de pluie et de vent a déporté les oiseaux vers des endroits imprévus ou encore a rendu les conditions de vol trop risquées pour continuer le voyage. Les oiseaux en descente ont peut-être repéré le fleuve et se sont empressés de le rejoindre et de suivre le mouvement de goélands vers le nord-est. Ont-ils atteint le fleuve à la hauteur de La Pocatière, de Montmagny ou encore de Québec? Il aurait fallu que des observateurs aux aguets soient sur place pour le savoir!
Les observations régulières depuis 30 ans confirment qu’un certain nombre de Labbes parasites traversent la région de Rivière-Ouelle durant leur migration printanière. Je suis même certain qu’ils peuvent très bien y prendre leur envol vers le nord. Mais pour qu’un nombre aussi élevé de labbes se retrouve ici, un accident vraiment majeur de migration est sûrement en cause. Bien sûr, ce n’est qu’une théorie, mais je la trouve très plausible!
Il est aussi intéressant de noter à quel point les déplacements de samedi étaient très différents de ceux observés l’an dernier pratiquement à la même date. Autant les 46 Labbes parasites du 27 mai 2012 se déplaçaient vers l’amont de façon passive, autant les 125 oiseaux du 25 mai 2013 luttaient pour se diriger vers l’aval. C’est un autre point qui me laisse croire que les labbes de samedi ont vraiment été forcés par les éléments à faire une escale imprévue.

Au-delà de ce phénomène, ce sont 84 espèces que nous avons rencontrées à Rivière-Ouelle samedi le 25 mai entre 5 h 00 à 12 h 30. En voici une liste partielle :
  • 2000 Oies des neiges – Quelques petits groupes volaient eux-aussi vers le nord-est loin au large du quai, en luttant contre le vent. Une drôle de température pour partir vers le nord!
  • 3 Canards chipeaux
  • 6 Canards d’Amérique
  • 38 Canards noirs
  • 8 Canards colverts
  • 2 Fuligules milouinans
  • 24 Eiders à duvet
  • 2 Macreuses à front blanc
  • 6 Macreuses brunes
  • 125 Macreuses à bec jaune
  • 2 Hareldes kakawis
  • 4 Garrots à œil d’or
  • 1 Harle couronné
  • 2 Grands Harles
  • 2 Harles huppés
  • 2 Gélinottes huppées
  • 64 Plongeons catmarins
  • 4 Plongeons huards
  • 128 Fous de Bassan – Les fous se déplaçaient en tous sens. C’est toujours fascinant de voir avec quelle facilité ces oiseaux négocient avec le vent!
  • 22 Cormorans à aigrettes
  • 9 Grands Hérons
  • 3 Busards Saint-Martin
  • 1 Autour des palombes – Un immature est observé tout près du quai, une présence surprenante en bordure du fleuve à la fin de mai.
  • 8 Chevaliers grivelés
  • 1 Chevalier solitaire
  • 1 Bécassin roux
  • 9 Mouettes tridactyles
  • 200 Goélands à bec cerclé
  • 75 Goélands argentés
  • 2 Goélands arctiques
  • 15 Goélands marins
  • 1000 goélands sp. – Beaucoup des laridés qui circulaient au large sont restés non-identifiés, nous étions trop occupés avec les labbes!
  • 16 Sternes pierregarins
  • 125 Labbes parasites – C’est un minimum!
  • 2 Labbes à longue queue – S’il s’agit de la première présence printanière de l’espèce dans la région, il existe tout de même déjà quatre mentions automnales, toutes à Rivière-Ouelle (septembre 2005, août 2008, août 2011, août 2012). À mon avis, l’espèce a pourtant bien plus de chance d’être vue ici au printemps.
  • 2 Guillemots marmettes
  • 22 Petits Pingouins
  • 2 Colibris à gorge rubis
  • 3 Crécerelles d’Amérique
  • 1 Faucon pèlerin
  • 1 Pioui de l’Est – Ce pauvre pioui se perchait sur des rochers ou des branches échouées sur les battures même s’il n’était qu’à quelques mètres d’un boisé.
  • 1 Moucherolle tchébec
  • 60 Corneilles d’Amérique
  • 2 Troglodytes des forêts
  • 4 Roitelets à couronne dorée
  • 2 Grives fauves
  • 1 Grive à dos olive
  • 145 Étourneaux sansonnets
  • 1 Pipit d’Amérique
  • 2 Parulines des ruisseaux
  • 2 Parulines obscures
  • 5 Parulines masquées
  • 2 Parulines flamboyantes
  • 1 Paruline à collier
  • 6 Parulines à tête cendrée
  • 2 Parulines à gorge orangée
Paruline à gorge orangée – Rivière-Ouelle – 25 mai 2013 © Claude Auchu
  • 1 Paruline jaune
  • 2 Parulines à flancs marron – Alors que le pioui chassait les insectes sur les battures, ces deux Parulines à flancs marron étaient cachées, elles, en pleine forêt.
  • 1 Paruline bleue
  • 7 Parulines à croupion jaune
  • 3 Bruants à couronne blanche
  • 1 Cardinal à poitrine rose
  • 1 Goglu des prés
  • 70 Carouges à épaulettes
  • 65 Quiscales bronzés
  • 1 Vacher à tête brune
  • 1 Oriole de Baltimore
  • 2 Roselins pourprés
  • 6 Tarins des pins
  • 26 Chardonnerets jaunes
Nous avons quitté Rivière-Ouelle au moment où les premières gouttes de pluie ont commencé à tomber. Cette pluie s’est poursuivie pour le reste de la journée et durant une bonne partie de la journée de dimanche.

Nous n’avons donc pas pu effectuer la longue excursion à vélo prévue pour dimanche le 26 mai. Nous l’avons plutôt remplacée par une courte tournée à pied dans de petits boisés, costumés comme des scaphandriers. Le petit 5°C, l’humidité à 100% et le vent du nord soufflant à 30 km/h n’avaient rien pour inciter les oiseaux à chanter. C’était donc très silencieux en forêt et c’est presque par chance que nous avons repéré quelques parulines. Parmi la douzaine d’espèces rencontrées, la Paruline du Canada a été très appréciée. Un groupe pourtant bruyant de 150 Tarins des pins réussissait à peine à se faire entendre sous le vent. Finalement, une rare rencontre avec un Piranga écarlate mâle a mis un peu de couleur dans cette journée grise.
Pour nous, c’est ainsi que le printemps ornithologique prendra fin. Si la première moitié du mois de mai aura été très chaude et sèche, la deuxième aura par contre été très froide et pluvieuse. Mais il faut se rappeler que c’est avec des extrêmes que l’on fait les moyennes! Dans deux semaines, si le soleil revient, on aura déjà tout oublié!