Sur mon lieu de travail, je me fais un devoir de dîner à l’extérieur du 20 mars au 5 décembre, peu importe la température. Jeudi dernier, le 24 février, j’ai décidé de profiter d’un soleil flamboyant digne du mois d’avril pour casser la croûte à l’extérieur. Je me disais qu’avec un peu de chance, je pourrais peut-être ajouter une ou deux espèces à mes listes quotidiennes toujours maigres durant la semaine! Les grands champs agricoles situés du côté sud de l’édifice n’offrent cependant pas un grand choix d’espèces en février : les Grands Corbeaux, les Pigeons bisets et les Plectrophanes des neiges sont les plus réguliers.
Mon repas est commencé depuis à peine cinq minutes que j’entends des bruits d’ailes presqu’au-dessus de ma tête. Je lève rapidement les yeux et j’ai tout juste le temps de voir trois pigeons poursuivis par un Épervier de Cooper à moins de cinq mètres de moi!!! Je bondis de ma chaise juste comme les oiseaux disparaissent derrière le toit. Le tout n’a duré qu’une fraction de seconde mais j’ai l’image nettement gravée dans mon cerveau : trois pigeons suivis de l’épervier effectuant un virage serré, me montrant ainsi le dos brun et la longue queue étroite à bout arrondi du jeune rapace. J’ai même l’impression que l’épervier a légèrement tourné la tête pour me regarder! C’est vraiment surprenant de constater à quel point le cerveau peut réagir rapidement même lorsque l’on n’est pas vraiment préparé à un tel événement! Mais il faut dire qu’avec plusieurs milliers d’Éperviers bruns et quelques centaines d’Autours des palombes à mon actif (la majorité ayant été observé durant les neuf automnes que j’ai passés à l’Observatoire d’oiseaux de Tadoussac), le « jizz » des éperviers n’est jamais rangé bien loin dans ma tête…
On peut presque considérer l’Épervier de Cooper comme étant un ajout récent à l’avifaune de la région de La Pocatière. Mes notes indiquent que je n’ai eu que 6 mentions entre 1982 et 1990 mais 28 mentions depuis 2005! Durant les années 1980 et ’90, l’Épervier de Cooper faisait partie des quelques espèces qui, paradoxalement, devenaient plus difficiles à trouver au fur et à mesure que je gagnais en expérience…! Mais, depuis, il est évident que l’espèce a fait un retour en force dans la région. L’abbé René Tanguay ne mentionne pas l’espèce dans l’article « Les oiseaux des comtés de Kamouraska, L’Islet et Montmagny » qu’il a publié dans le périodique Le Naturaliste canadien en 1964-65. Le Musée du Québec posséderait cependant un spécimen (#3590) capturé à Sainte-Louise-des-Aulnaies (à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de La Pocatière) le 20 septembre 1936. C’est donc dire que l’espèce était déjà présente dans la région il y a 75 ans.
Le 17 août 2008, Christiane et moi avons trouvé trois juvéniles et un adulte Épervier de Cooper dans le boisé Beaupré à La Pocatière; à ma connaissance, il s’agirait d’une première mention de nidification dans la région. Nous avons d’abord entendu un cri inconnu de nous deux mais que nous avons pu immédiatement classer dans la catégorie « cris de jeunes rapaces quémandant de la nourriture ». Le cri était lancé avec régularité, toujours du même endroit. En nous approchant lentement, nous avons finalement fait envoler un gros épervier identifié sans difficulté comme un Épervier de Cooper juvénile. En suivant le rapace dans le boisé, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait au moins trois oiseaux qui criaient! Ils étaient posés dans un rayon d’une quinzaine de mètres et ne volaient que sur de courtes distances. Nous avons réussi à voir les oiseaux posés à quelques reprises, nous permettant de noter les critères essentiels : grande taille, queue arrondie avec large bande terminale blanche, dessous fortement rayés de fines lignes sur la poitrine et les flancs mais ventre presque blanc, pattes nettement plus fortes que celles de l’Épervier brun. Ils lançaient toujours la même note, un ki-hirrr légèrement enroué (on peut voir et entendre un Épervier de Cooper juvénile lançant ce cri sur ce lien). À une occasion, nous avons aussi entendu le cri typique d’un adulte qui devait se trouver tout près d’un des juvéniles. L’habitat nous semble parfait pour la nidification de l’Épervier de Cooper : une jeune érablière avec quelques Pins blancs de taille moyenne située près de petits champs agricoles. Un peu plus loin se trouve un massif de Pins sylvestres dans lequel la Petite Buse et le Grand-duc d’Amérique se sont déjà succédés sur un nid.
L’Épervier de Cooper était peut-être un des principaux prédateurs naturels des Tourtes voyageuses dans la région en 1850… Probablement que des Pigeons bisets ou des Tourterelles tristes doivent signifier la même chose pour lui en 2011!