lundi 7 février 2011

Pèlerinage à Dégelis

La ville de Dégelis se trouve à l’extrémité sud du lac Témiscouata, à 13 km de la frontière Québec/Nouveau-Brunswick. Ma première excursion ornithologique à Dégelis remonte au mois de juillet 1984. J’avais eu, à ce moment, le plaisir de compléter la parcelle contenant la ville et ses alentours lors du premier Atlas des oiseaux nicheurs du Québec. Je me souviens que j’avais été marqué par le paysage vallonné de la région et, surtout, de m’être renseigné auprès des habitants sur l’état de la rivière durant la saison froide. Est-ce vrai que la rivière Madawaska qui traverse la ville ne gèle jamais et que des canards en profitent pour hiverner sur place? Oui, c’est vrai!!! Et depuis, à presque chaque hiver que j’ai passé à La Pocatière, je me suis fait le plaisir de parcourir les 150 km séparant La Pocatière de Dégelis afin de « couper » la saison froide et de pouvoir enfin observer des canards.

C’est samedi le 5 février, profitant de la température printanière, que nous avons donc fait notre pèlerinage annuel à Dégelis. Et cette année, ce fut particulièrement fructueux! Dès notre arrivée, un rassemblement suspect de corneilles et de corbeaux en bordure de la route nous a permis de voir un Grand-duc d’Amérique qui essayait, tant bien que mal, de dormir bien caché dans une épinette. Le petit barrage construit entre le lac Témiscouata et la rivière Madawaska crée assez de remous pour laisser une petite partie du lac libre de glace durant tout l’hiver. Le nombre de goélands hivernants sur place augmente à chaque année. Le 2 février 1992, je n’avais vu qu’un seul Goéland marin alors que samedi dernier, il y en avait 104, en plus de deux Goélands bourgmestres et d’un Goéland argenté. Et à ma connaissance, le contenu du site d’enfouissement situé juste à côté et qui les nourrit sûrement n’a pas changé!


Garrots à oeil d'or, Garrots d'Islande, Canards colverts - Dégelis - 5 février 2011
 
Sur la rivière, les espèces de canards habituels étaient présents : 8 Canards noirs, 65 Canards colverts, 105 Garrots à œil d’or, 14 Garrots d’Islande, 7 Harles couronnés (leur site d’hivernage régulier le plus septentrional au Québec?) et 11 Grands Harles. Comme il arrive régulièrement, la présence d’anatidés plus inusités au cœur de l’hiver nous a agréablement surpris : un Canard pilet femelle et cinq Bernaches du Canada ont été très faciles à trouver. Pour le pilet, il s’agit possiblement d’une première tentative d’hivernage dans le Bas-Saint-Laurent alors que je me souviens qu’une bernache blessée a déjà hiverné sur place il y a une vingtaine d’années. Il y a bien sûr une évolution chez les populations des espèces plus communes. Le Canard colvert, comme partout ailleurs au Québec, prend de plus en plus de place sur le site, peut-être au détriment des autres espèces. Lors de ma première visite hivernale à Dégelis, le 10 mars 1985, j’avais recensé 38 Canards noirs mais aucun Canard colvert! Comme l’an dernier, nous avons aussi trouvé un mâle hybride Garrot à œil d’or X Garrot d’Islande. Nous n’avons pas la prétention d’avoir vu tous les canards présents sur place; des canards se cachaient sûrement dans des portions inaccessibles de la rivière ou même entre Dégelis et la frontière.


Hybride Garrot à oeil d'or X Garrot d'Islande - Dégelis - 5 février 2011
 
Bien entendu, la présence de tant d’oiseaux et d’un nombre surprenant de Pigeons bisets dans la ville ne peut faire autrement que d’attirer des prédateurs. Ainsi, durant la journée, nous avons aussi observé un Autour des palombes adulte à deux reprises et deux Pygargues à tête blanche. Paraît-il que ce dernier est un hivernant régulier à Dégelis depuis une dizaine d’années.


Bernaches du Canada - Dégelis - 5 février 2011
La présence du Garrot d’Islande hivernant régulièrement en eau douce à près de 80 km du fleuve me surprend toujours. Leur nombre n’est pas très élevé, les 14 individus observés samedi dernier constituent mon maximum pour le site, mais leur régularité est tout de même remarquable. Ces oiseaux donnent une bonne idée sur tout ce qui peut circuler dans ce secteur au moment des migrations! Vous savez peut-être déjà que la rivière Saguenay est une piste de décollage et d’arrivée pour de nombreux migrateurs se dirigeant ou provenant de l’Arctique. L’embouchure du Saguenay sur le Saint-Laurent se trouve presque en face du lac Témiscouata. Autrement dit, un oiseau arrivant de l’Arctique et atteignant le fleuve via le Saguenay n’a ensuite qu’à survoler une quarantaine de kilomètres de terre ferme avant de rencontrer le longiligne lac Témiscouata. De là, il peut suivre la rivière Madawaska qui se jette elle-même dans le fleuve Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. Et vous savez où se jette le fleuve Saint-Jean? Dans la baie de Fundy, un lieu très riche autant pour les oiseaux aquatiques que pour les passereaux!!! Je suis certain qu’un ornithologue à l’affut à Dégelis lors de certaines journées printanières ou automnales verrait passer Sternes arctiques, labbes, Mouettes de Sabine et quoi d’autre? Le même phénomène est noté depuis longtemps sur le lac Champlain au Vermont. Dommage qu’il y ait 150 km de route entre La Pocatière et Dégelis… c’est vraiment un site à faire rêver!

Harles couronnés - Dégelis - 5 février 2011