C’est en 1928 que l’espèce s’est établie à La Pocatière, suite aux conseils de Raoul Lavoie, un naturaliste de L’Islet qui avait lui-même réussi à implanter une colonie dans son village l’année précédente. Par la suite, l’abbé René Tanguay, un professeur du collège, a fait un suivi attentif de « sa » colonie d’Hirondelles noires. À mes débuts en ornithologie, au milieu des années 1970, l’Hirondelle noire était l’espèce d’hirondelle la plus facile à observer dans ma ville. Elle était facilement visible dans un rayon de deux kilomètres autour des nichoirs, se rencontrant même régulièrement jusque sur les battures du fleuve Saint-Laurent. En dehors de la période de nourrissage des jeunes, leur champ d’action était encore plus étendu et, au fil des années, j’ai pu voir des individus que je considérais provenir de la colonie de La Pocatière jusqu’à Saint-Denis-de-Kamouraska (mi-juin) et près du quai de Rivière-Ouelle (fin d’août).
L’Hirondelle noire faisait son apparition à La Pocatière à la fin d’avril ou au début de mai. L’abbé Tanguay a compilé une date d’arrivée précise pour la grande majorité des printemps entre 1931 et 1977 (il est décédé en 1978!). Si j’ajoute les miennes au tableau, recueillies entre 1978 (comme par hasard!) et 1992, la dernière année où l’espèce a niché, nous avons les dates d’arrivée pour une même espèce à un même endroit pour pas moins de 59 années! De 1978 à 1981, je me souviens très bien que je faisais un rapide aller-retour à vélo jusqu’aux nichoirs en revenant de l’école dès la fin-avril en espérant y voir les premières hirondelles. Un calcul rapide permet de situer la date moyenne d’arrivée pour ces 59 années au 1er mai, la plus hâtive étant le 18 avril 1935 et la plus tardive le 17 mai 1961. Comme on pouvait s’y attendre, les hirondelles s’installaient dans les nichoirs dès leur arrivée et, si les condos n’étaient pas encore en place, elles les attendaient de façon très marquées. Une année où elles étaient arrivées hâtivement, j’avais compté huit hirondelles perchées sur le piquet et les équerres destinés à un seul nichoir!
Il est habituellement moins facile de noter les dates de départ que les dates d’arrivée, probablement parce que c’est nettement moins motivant de voir les oiseaux nous quitter que de les voir arriver. Pour ma part, j’ai résolu ce problème depuis longtemps puisque je note tous les oiseaux que je vois à tous les jours depuis plus de 30 ans! S’il manque quelques dates de départ de l’espèce dans la compilation de l’abbé Tanguay (il n’inscrivait souvent que le mois), j’ai tout de même sous la main des dates précises pour 19 années auxquelles je peux ajouter celles que j’ai moi-même recueillies entre 1979 et 1991. La date moyenne de la dernière observation près de la colonie est donc le 18 août avec les extrêmes suivants : 16 juillet 1962 (suite à une nidification ratée?) et le 16 septembre 1980.
J’ai également dans mes notes trois autres dates tout aussi importantes de présence de l’Hirondelle noire ici. Le 21 mai 1992, j’ai observé un seul oiseau en vol près des nichoirs. Maintenant, je considère qu’il s’agissait du seul survivant des oiseaux qui ont niché durant l’été 1991. Ma date la plus hâtive et la plus tardive de présence de l’Hirondelle noire à La Pocatière ont été faites après la disparition de la colonie. Le 20 avril 1996, alors que j’observais les oiseaux de proie en migration en compagnie d’un ami, un mâle est passé en flèche près de nous en direction est. Dix ans plus tard, le 15 octobre 2006, j’ai trouvé une juvénile durant une journée de vents forts du sud-ouest. Ces deux observations ont été faites à moins de 1,5 kilomètres du site de la colonie.
Durant les années 1980, jusqu’à cinq nichoirs destinés aux Hirondelles noires étaient installés autour du Collège de Sainte-Anne et de l’Institut agro-alimentaire situé juste à côté, avec un total d’une centaine de compartiments. Quelques autres nichoirs du même genre mais plus ou moins adaptés à l’espèce existaient ailleurs à La Pocatière et dans les villages environnants. À ma connaissance, un seul de ces nichoirs, situé sur la route Martineau à 2,8 kilomètres du collège, a été adopté par des Hirondelles noires. Puisque les nichoirs près du collège se trouvaient sur des terrains accessibles à tous, il était facile pour moi de suivre l’évolution des effectifs de la colonie. Ma méthode pour recenser les couples nicheurs était très simple : en juillet, durant la période la plus intensive de nourrissage des jeunes, je m’installais tout près des nichoirs muni d’un calepin de notes et j’attendais! Les allers et venues rapides et réguliers des adultes m’indiquaient rapidement quels compartiments étaient occupés. Durant les nuits les plus chaudes de l’été, j’avais trouvé amusant de voir que certains adultes « veillaient sur le perron », bien installés sur le perchoir à l’entrée de leur compartiment en plein obscurité!
Hirondelles noires – La Pocatière – été 1982 © Claude Auchu |
-
1963 : 18 couples
- 1985 : 30 couples répartis dans quatre nichoirs, dont au moins deux couples dans le nichoir de la route Martineau
- 1986 : 29 couples répartis dans quatre nichoirs, dont au moins trois couples dans le nichoir de la route Martineau
- 1987 : 26 couples répartis dans quatre nichoirs, dont au moins trois couples dans le nichoir de la route Martineau
- 1988 : ???
- 1989 : 7 couples dans un seul nichoir, celui de la route Martineau ayant été abandonné
Les Faucons émerillons qui nichaient dans le boisé adjaçant aux nichoirs étaient sûrement les principaux prédateurs des Hirondelles noires à La Pocatière. J’ai trouvé à quelques reprises des ailes d’hirondelles sous les Pins blancs préférés des faucons. J’ai même déjà vu un émerillon juvénile voltiger sur place devant un nichoir avant de se poser sur son toit, sous les attaques concertées d’une bonne partie de la colonie. C’était très impressionnant et bruyant! Un ennemi sûrement plus pernicieux des hirondelles était sans doute le froid. Durant une vague de froid au début de mai 1983, je me souviens que sept ou huit hirondelles avaient été retrouvées mortes ou très affaiblies. La presque totalité des hirondelles avaient alors quitté La Pocatière. Un ami ornithologues m’avait même dit que les oiseaux étaient partis pour de bon et qu’ils ne reviendraient pas nicher. De mon côté, j’étais certain qu’ils s’étaient simplement réfugiés en bordure d’un cour d’eau à la recherche d’insectes et qu’ils seraient de retour avec le beau temps… et c’est ce qui est arrivé.
En 1971, l’abbé René Tanguay avait écrit à pratiquement tous les observateurs d’oiseaux du Québec afin de savoir si des colonies d’Hirondelles noires existaient dans leur région. Son but était d’avoir un portrait le plus fidèle possible de la répartition de cette grosse hirondelle au Québec. Les réponses qu’il avait reçues, et une bonne partie de ses notes sur les oiseaux de la région, sont conservées aux archives de la Société historique de la Côte-du-Sud à La Pocatière, une belle mine d’informations!
Avec la disparition de l’Hirondelle noire, l’avifaune de la région de La Pocatière s’est apauvrie d’une espèce difficile à remplacer. Il y a une chose que je trouve très étrange dans toute cette histoire : comment le naturaliste Raoul Lavoie a-t-il réussi à implanter des colonies d’Hirondelles noires en donnant des conférences et en distribuant de la documentation à la fin des années 1920 alors qu’à notre époque, où les échanges sont si faciles et rapides, pourquoi personne ne parle jamais de tels projets?!?