lundi 10 janvier 2011

Un Lagopède des saules à La Pocatière?


Il y a cet hiver une présence bien marquée de Lagopèdes des saules dans la région du Lac St-Jean. Ces « perdrix blanches » nichant dans la toundra connaissent un pic d’abondance tous les huit à dix ans. L’hiver venu, les oiseaux se dispersent alors vers le sud pour atteindre en nombres variables l’Abitibi, le nord du lac Saint-Jean et la Côte-Nord. Lors de ces périodes d’invasion, un lagopède pourrait-il traverser le fleuve et se retrouver à La Pocatière? À ce sujet, j’ai une petite histoire à vous raconter…
L’hiver 1990-91 fut l’un de ces hivers d’abondance de lagopèdes dans l’est de la province. Plusieurs milliers d’oiseaux sont descendus vers le sud, certains atteignant même Sainte-Rose-du-Nord et La Baie au Saguenay et Bergeronnes sur la Côte-Nord. Les trois oiseaux signalés le plus au sud ont été abattus par des chasseurs à Saint-Siméon (Charlevoix) le 12 janvier ’91.
À cette époque, j’étais très impliqué dans le club d’ornithologie du cégep de La Pocatière. Le mardi 2 avril 1991, alors que je montais une vitrine thématique sur les hiboux à l’entrée de la bibliothèque du cégep, une dame est venue me voir pour me dire tout bonnement avoir vu un lagopède dans sa cour deux ou trois jours auparavant. Je lui ai demandé des détails et elle m’a expliqué qu’elle habitait près du cap Martin, tout juste à l’ouest de La Pocatière. En sortant son chien, elle remarqua un oiseau blanc mangeant des bourgeons dans son prunier. Connaissant déjà un peu les oiseaux, elle reconnut sans mal un lagopède. En voyant le chien, l’oiseau lança des notes décrites comme des « dig-dig-dig », avant de s’envoler et de descendre se cacher dans des buissons situés en contre-bas.
La dame m’ayant fourni son adresse, je me suis rendu le plus vite possible chez elle en compagnie de trois amis ornithologues. La maison est située en bordure de la route 132, tout juste au sommet d’une petit côte, et entourée de champs et d’îlots de conifères. De là, le fleuve est bien visible (les montagnes de Charlevoix aussi…), à moins de 800 mètres. Sur place, j’ai rencontré son mari qui me raconta exactement ce que son épouse m’avait dit. Il m’a montré aussi le prunier situé juste à côté de la maison et les buissons en bas de la pente.
Rapidement, nous avons formé deux équipes pour explorer les environs même si nos espoirs n’étaient pas très élevés. Mon équipe s’est dirigée vers le fleuve en traversant les champs et, surtout, en longeant les clôtures où poussent de nombreux saules (!). Malheureusement pour nous, la neige de ce début-avril était assez dure pour permettre à un lagopède de marcher sans laisser de traces mais assez molle et mouillée pour que deux hommes s’enfoncent presque jusqu’aux genoux à chaque pas. Malgré cela, nous avons réussis à découvrir quelque chose de très intéressant : sous des buissons de saules poussant le long d’une clôture se trouvaient des fientes de gallinacés au fond d’une petite dépression creusée dans la neige, un peu comme celles que laissent les gélinottes en forêt. Un bon signe qu’un gallinacé aimant les habitats partiellement ouverts a récemment fréquenté le secteur. Finalement, nous sommes revenus à la voiture où l’autre équipe était de retour avec encore moins de résultat que nous. C’est ainsi que se sont terminées nos recherches. Et alors, finalement, était-ce bien un lagopède? Tout, je dis bien TOUT, indique que oui! Le seul autre oiseau avec lequel un observateur inexpérimenté pourrait confondre un Lagopède des saules dans la région est un pigeon blanc. La dame a immédiatement identifé l’oiseau comme étant un lagopède et était assez consciente du caractère inhabituel de l’observation pour en parler à son mari et m’aborder pour me raconter l’histoire. Le comportement observé chez l’oiseau élimine aussi le pigeon :
  • un pigeon ne se perche que rarement, sinon jamais, dans un arbre de la taille d’un prunier,
  • un pigeon ne mange pas de bourgeon,
  • un pigeon ne lance jamais de cris ressemblant à des « dig-dig-dig » (un lagopède le fait cependant!!!),
  • un pigeon voulant se cacher d’un chien ne s’enfuirait pas vers un buisson au fond d’un petit ravin.
De plus, les fientes découvertes sous un buisson de saules en bordure d’un champ se trouvaient dans un habitat qu’aucun de nos deux gallinacés (Gélinotte huppée et Tétras du Canada) n’auraient l’idée de fréquenter au début du printemps (la Perdrix grise n’avait pas encore colonisé la région à l’époque).
Mais est-ce qu’un lagopède, qui n’est finalement qu’une poule arctique, est en mesure de traverser le fleuve en volant? Sûrement! En 2005, en Alaska, 125 lagopèdes ont été vus autour d’un bateau voguant entre 8 et 17 km de la côte la plus proche. Certains oiseaux se sont même posés à l’eau, y sont restés une dizaine de minutes avant de s’envoler et de poursuivre leurs déplacements. Une belle indication de la force de vol de ces oiseaux et, surtout, de leur besoin urgent de se déplacer, même au risque de leur vie. Il existe d’ailleurs quatre mentions de Lagopède des saules sur la côte du Maine, la plus récente du 16 mai au 3 juin 2000, et une au Massachusetts. Plus près de nous, le 2 mars 2009, un individu est trouvé mort à Québec, probablement suite à une collision avec un édifice. Alors, à votre avis, un Lagopède des saules a-t-il bel et bien visité La Pocatière le 30 ou le 31 mars 1991?
À noter que les chasseurs s’en donnent à cœur joie avec un gibier aussi insousciant que les lagopèdes lorsqu’ils descendent sous les latitudes habitées. Si les centaines d’oiseaux tués dès qu’ils entrent en contact avec l’espèce humaine étaient laissés en vie, jusqu’où se rendraient-ils…?